Je ne prodigue jamais de conseils aux autres sur leur couple. Je ne crois pas que ça fonctionne, pour la bonne raison, cliché au possible, que chaque couple est différent et qu’il n’y a pas de règles absolues à suivre, qui garantiraient à tout le monde un fonctionnement sain et une vie pas trop névrosée. Enfin, il y a bien deux-trois trucs qu’on connaît tous et qu’on perd parfois de vue : essayer de bien communiquer, parler et mettre les choses à plat de temps en temps pour ne pas laisser s’installer une incompréhension ou une frustration, respecter l’autre comme une personne et pas comme un objet acquis qui ferait partie du mobilier, comprendre qu’on évolue des deux côtés de l’équation et qu’il faut parfois composer avec une personne dont la vie change et avec laquelle il faut faire des compromis pour rester à peu près compatibles… mais même ça, en vrai, je ne sais pas. Il y a des gens qui sont peut-être très heureux dans des couples où on est férocement indépendants sans avoir besoin de se parler, ou d’autres où tout le monde se sent bien dans une relation certes inégalitaire mais où chacun·e trouve son compte à reproduire des schémas patriarcaux qui rassurent. Je ne dis pas qu’ils ne prennent pas le risque de se rater l’un l’autre, ou d’un jour se réveiller en se disant que ça ne les satisfait pas, mais après tout, chacun fait comme il veut et selon son système de valeurs, tant que les gens ne font rien d’illégal et que ça a l’air de fonctionner pour eux, d’où me permettrais-je de conseiller un couple et, ce faisant, de leur dire comment ils doivent « faire couple » ?
L’un de mes grands « principes » lorsque je suis en ménage, en tout cas, même s’il ne faut pas être trop rigide avec les principes, c’est de garder de l’espace et d’en donner. Partir en week-end avec ses copains sans son mari. Le laisser sortir dîner sans être là. Aller au cinéma sans lui pour voir un film qu’il n’avait pas envie de voir. Je suis assez convaincu qu’on est déjà bien assez identifiés comme une « entité » à part entière en tant que couple sans avoir besoin d’en faire la démonstration permanente ni de totalement se fondre dedans. Rester la personne, l’individu qu’on a rencontré il y a maintenant quelques années, je pense que cela passe avant tout par le fait de ne pas devenir des inséparables. Je suppose que ça me vient de mes parents, qui ont accepté les quelques différences indépassables entre eux et, malgré de nombreux moments et fréquentations en commun, ont aussi des espaces en solo : des copains qu’il voit sans elle, des voyages qu’elle fait sans lui, des trucs qu’ils aiment bien faire l’un sans l’autre. Je n’ai jamais trouvé ça problématique, je trouve que ça dessine plus clairement les contours de leurs individualités respectives : ce qu’il aime, ce qu’elle ne supporte pas, ce qui l’ennuie lui, ce qui la passionne elle…
La semaine dernière, nous étions de passage à Paris, pour l’un des nombreux spectacles auxquels nous aurions dû assister en 2020 et qui, pour cause de pandémie, ont été reportés à 2021 puis à 2022. Nous ignorions alors que nous ne vivrions même plus à Paris lorsque nous assisterions à ces spectacles, et ils sont devenus de coûteuses expéditions en pleine semaine, mais qui nous font plutôt plaisir. Le spectacle avait lieu le mercredi soir, et au lieu de rentrer le jeudi pour passer le week-end seul à Lyon pendant que mon mari serait au ski avec les amis de son association, je suis resté tout le week-end. Un séjour solitaire pour voir quelques amis, mais sans programme précis et avec beaucoup de plages de temps libre. Des jours seul. Ça ne m’était pas arrivé depuis un bon moment. En tout cas pas sous ce format et cette durée. Presque quatre jours seul et libre de circuler, sans obligations, rythmés par une soirée par-ci ou un dîner par-là. Juste moi et Paris.
C’est étrange, Paris, quand on n’y vit pas. J’ai toujours mes repères, cette familiarité immédiate avec les rues que je connais par cœur, les bars où j’allais, les magasins que j’aimais bien. On est quelques-uns, dans mon entourage, à avoir quitté Paris depuis un an ou deux, et nous émettons tous des avis et retours d’expériences assez différents sur nos visites, depuis. Certains se sont mis à découvrir la ville sous un jour odieux, la trouvant désormais trop sale, trop bruyante, trop stressante, par contraste avec la ville plus petite où ils vivent désormais. D’autres sont en adoration devant les avantages à être là sans y habiter, sans les trajets matinaux pour aller au travail, sans le stress inhérent à une ville qui s’étend sur près de vingt kilomètres de large. Je penche plutôt du côté des seconds, je prends plutôt plaisir à être là, tout en étant content de rentrer à Lyon lorsque c’est terminé.
Seul dans la ville, sans mari, sans avoir vraiment prévenu tout mon répertoire de contacts parisiens de ma présence, j’ai passé quatre jours sur un fil, un séjour à la fois très ressourçant et un peu déprimant, seul face à moi-même. Sans programme, sans conjoint, que ferais-je dans Paris : à la vérité, pas grand-chose de plus que ce que j’y faisais habituellement, ai-je constaté, me surprenant à faire un peu le touriste, mais essentiellement à me rendre dans les endroits où j’avais mes habitudes. Seul face à moi-même, il faut croire que je me révèle n’être qu’un mec un peu machinal et accro à ses familiarités. Mais ce mec machinal ne s’exprime jamais avec autant d’aisance et de coudées franches que lorsqu’il est tout seul. Et même si je suis très heureux de vivre avec quelqu’un qui me pousse à m’adapter et à devenir meilleur tout en me laissant être moi-même, parfois, pendant quelques heures, être soi-même sans filtre, aussi fainéant et sans fantaisie qu’on le souhaite, et faire exactement ce qu’on veut sans négociation ni supervision, fait tout simplement un peu de bien.
Matoo
mars 18, 2022 at 4:39Ah je trouve que ça change tout de ne plus y habiter. Bien sûr j’ai cette familiarité des lieux qui font que je m’y sens encore chez moi, mais le fait de ne plus y avoir des affaires et d’appartement ça change tout je trouve. Je ne profite plus de la solitude des flâneries parisiennes à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. J’ai toujours aimé m’y promener seul et m’y perdre, exactement quand j’en avais envie, et ces moments étaient sans doute les plus précieux de cette vie là. (Mais c’est moi hein. ^^) L’avantage c’est que je commence déjà à ressentir cela à Nantes, c’est sans doute cette familiarité là qui fait que je me sens chez moi quelque part.
Vinsh
mars 18, 2022 at 5:39Je profite mieux de Paris en touriste, je crois, même si tout est plus coûteux quand on n’a pas son appart’, sa cuisine, son navigo… et surtout (comme ça m’arrive rarement), je crois que ça m’a fait du bien de passer un peu de temps « seul » en touriste quelque part, ce qui ne m’arrive plus jamais et m’oblige un peu à prendre des décisions, choisir, suivre uniquement ce que j’ai envie de faire et pas « le mouvement ». 🙂