Les noces de coton

 

 

La première année de mariage est passée si vite. Je n’en reviens pas de la vitesse à laquelle tout cela a filé, de tout ce qui a changé, et de l’adaptabilité naturelle et sans vague dont nous avons fait preuve. On le savait déjà il y a un an : on allait déménager, changer de vie, changer de job, changer de vie quotidienne et voir beaucoup plus souvent certains amis et beaucoup moins souvent certains autres. Pas parce qu’on n’aimait plus ces derniers. Juste parce qu’on avait pris acte qu’il était temps, pour nous comme il l’avait été pour eux, de tourner la page de Paris et d’accepter que nos années de jeunes cadres dynamiques et idéalistes étaient derrière nous.

 

On dit souvent que la première année de mariage est déterminante, qu’on s’y découvre en tant que couple, avec ce nouveau statut qui confère une forme de respectabilité, de perception de « sérieux » par les proches et la famille qui n’auraient pas encore pigé que la relation était là pour durer, et qui ce faisant met une pression supplémentaire dans ces regards extérieurs. Je ne pense pas que ce soit notre cas. Nos familles se sont si peu investies dans le mariage qu’aujourd’hui, surtout avec la distance géographique mise entre eux et nous, leur influence sur notre vie quotidienne est proche du néant. Nous avons cédé à l’une de leurs injonctions plus ou moins explicites, l’achat immobilier, mais à vrai dire sans les consulter ni les impliquer dans le projet. C’est vraiment venu de nous.

 

Mes parents me tannent depuis une quinzaine d’années pour que je devienne propriétaire de mon logement. Mais à Paris, entre mes jobs payés au lance-pierre, mon statut amoureux longtemps incertain et mon incapacité à me projeter dans un endettement de vingt ans pour un clapier à onze mille euros du mètre carré, cela ne s’est tout simplement jamais fait. Je n’en avais pas envie. Le départ à Lyon était, aussi, une manière de rendre ce genre de projet possible, même si ça ne m’obsédait pas du tout. Et voilà qu’hier, 364 jours après le mariage, nous avons signé un compromis. Il y a encore cinq ans, alors que j’avais déjà le même amoureux, j’aurais cru à une pure fiction. La première année de mariage a été cela, aussi : une rampe de lancement tranquille mais décidée vers une autre vie, un autre chapitre de cette existence qui en a déjà connus quelques-uns.

 

On dit aussi que la première année de mariage est difficile car après l’euphorie des fiançailles et des noces vient le dur retour à la vie quotidienne, et que les couples se frustrent, se déçoivent, se déconnectent un peu l’un de l’autre. Comme je suis quelqu’un d’assez peu démonstratif, je n’ai pas vécu le mariage ou ses préparatifs, dans un contexte de covid et de couvre-feu, comme un truc follement euphorique. C’était une belle parenthèse de quelques jours, et un très beau souvenir, mais je ne pense pas avoir vraiment eu le loisir de me « déconnecter » de ma vie quotidienne durant cette période, malgré (ou peut-être à cause) des changements drastiques survenus dans les mêmes semaines : contraintes d’organisation, stress des préparatifs, boulot, recherche de nouvel appartement, déménagement, changement de job… Franchement on n’a pas eu vraiment le temps de s’ennuyer, ni de se regarder dans le blanc des yeux en se disant que notre vie quotidienne était trop terne par rapport à nos noces de folie.

 

Nous avons eu parfois des moments de déconnexion l’un de l’autre, je crois, des instants où nous n’étions pas au diapason. Pas le même ressenti face aux événements. Pas tout à fait la même expérience non plus dans ce nouveau cadre, avec nos jobs et nos rapports familiaux différents, nos manières différentes de prendre nos distances avec Paris. Nous avons eu, tous les deux, je crois, besoin de faire des bouts de chemin chacun de notre côté, de ne pas côtoyer les mêmes personnes tous les jours tout le temps, de nous retrouver seuls tantôt l’un avec l’autre tantôt l’un sans l’autre, pour ne pas nous perdre. Mais nous avons continué à nous aimer, à nous parler, à nous disputer parfois et à nous étreindre souvent, à nous respecter toujours, je l’espère.

 

Tout cela ne diffère pas de ce qu’était la vie de couple avant. Ce n’est ni plus difficile ni plus facile une fois qu’on est marié. En tout cas pour nous. On vit ensemble, tout pareil, on s’aime, tout pareil. On a juste un autre environnement et de nouveaux projets. Rien n’est jamais acquis, mais j’entame la deuxième année de mariage assez serein.

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