L’Instagram gay est quand même un microcosme amusant à observer, avec ses codes et ses pratiques de communication plus ou moins hasardeuses. Je vais passer pour un gros con qui se range du côté des boomers, je crois. Ces derniers mois, je vois de plus en plus souvent des gens, sur Instagram et maintenant sur Twitter, où une fonctionnalité similaire (mais apparemment pas très sécurisée) a été déployée, demander aux membres de leur « cercle vert » s’ils ont toujours leur sceau officiel de consentement pour voir des contenus plus « privés » que ceux de leur timeline générale : dans le Twitter gay, ce sont en général des tweets qui parlent de sexe ou de sujets autour de leur vie sexuelle, des photos plus ou moins dénudées et des thirst traps. Rarement des trucs ouvertement pornographiques, puisque Instagram censure largement la nudité, même dans les stories « amis proches », et que sur Twitter, beaucoup préfèrent encore avoir un compte parallèle (un « PV ») pour poster et interagir avec une timeline majoritairement constituée de comptes « cul », d’acteurs pornos et de studios de films X, plutôt que de pourrir leur algorithme de compte public avec une alternance de copains, de tweets d’actualités et de gros plans sur des bites en érection.
Bref, à mon sens, le « cercle vert » est une fonctionnalité plutôt sympa dans l’idée, mais dans les faits c’est d’une efficacité assez faible (risques de fuites sur Twitter qui semble déjà avoir exposé des contenus « cercle vert » à des comptes carrément non-abonnés, et contenus largement inoffensifs sur Instagram pour ceux qui espéraient en faire leur vitrine à contenus NSFW, puisque la plateforme censure le moindre bout de sein ou de bite) et d’un impact marginal (en vrai, si on doit se draguer et s’envoyer des nudes, on le fait franchement en DM, en seul à seul). Je suis donc toujours un peu étonné et, je dois l’avouer, passablement irrité, quand je vois passer une story verte sur Instagram dans laquelle un inoffensif Instagrammos gay me demande, ainsi qu’aux quelques dizaines d’autres personnes, j’imagine, qu’il a mis dans ce cercle de « confiance », s’ils « consentent » encore à rester dans le cercle vert et à continuer à voir apparaître, de temps en temps, un selfie torse nu dans leurs stories. Franchement, ça me fait lever les yeux au ciel. Ils ne sont pas assez grands pour demander eux-mêmes ?
Le consentement, c’est important. Mais il y a une différence entre envoyer une photo de bite dans les DM de quelqu’un qui n’a rien demandé, et faire des selfies avec un bout de fesse ou de pectoraux sur son propre compte, même s’ils peuvent être vus par ce même « quelqu’un ». Le consentement, c’est aussi un truc proactif. Si vraiment ça te gêne de voir passer les selfies dénudés d’un mec, plus ou moins régulièrement, dans une story verte à laquelle tu n’as pas demandé à être « abonné », grow a pair, comme on dit chez les beaufs : envoie un DM et demande à être retiré du cercle vert. Ça m’est déjà arrivé et ça ne m’a pas vexé. J’ai compris. « Excuse-moi, est-ce que tu pourrais me retirer de ton cercle vert ? Vu le type de contenus que tu y postes, je pense que cela s’adresse à des gens qui te plaisent et avec qui tu es dans une démarche de vague flirt ou de manifestation d’intérêt sur un mode un peu drague. Ça me flatte que tu me manifestes cet intérêt, mais ce n’est pas forcément réciproque. » Ou bien « On de dragouillait en DM au début, mais à présent nous sommes amis, et je pense que nous n’en sommes plus là aujourd’hui, alors je préférerais ne plus être dans tes stories amis proches, parce que je ne souhaite pas être dans cette dynamique de « flirt » avec toi. ».
Je comprends que ce n’est pas forcément agréable à lire ni à écrire, mais dans un monde où on est capable de se comporter comme un adulte et pas comme un ado vexé et offensé par tout et n’importe quoi, normalement, ça fonctionne. Je comprends que ce n’est pas forcément à toi, abonné d’un compte Twitter ou Instagram, d’aller te manifester un peu piteusement en DM pour dire à un de tes contacts que tu es mal à l’aise, après tout tu n’as pas forcément demandé à faire partie de ce cercle vert (ils ont largement été lancés sans « mode d’emploi » par Instagram et Twitter), et donc tu n’as pas donné ton consentement a priori. Et maintenant c’est à toi de passer pour un prude, d’envoyer un DM pour ne plus voir ces stories, comme tu chercherais le bouton de désabonnement d’une newsletter de merde à laquelle tu te serais retrouvé abonné contre ton gré après avoir acheté un seul malheureux article sur un site e-commerce ?
Bah oui. Grow a pair.
Cette démarche des Instagrammos de tenter d’obtenir (ou de renouveler) le consentement de leur cercle vert, je la comprends : ces cercles ont été lancés sans trop d’instructions, et sur les comptes Instagram gays, notamment, la fonctionnalité a rapidement été adoptée pour partager des contenus plus intimes et, il faut le dire, plus flatteurs (à un degré d’érotisme variable), à une sélection de comptes Instagram qu’on aime bien, en qui on a (un peu) confiance, et avec qui on flirte plus ou moins, sans que cela prête non plus sérieusement à conséquence. En tout cas, c’est mon usage, et je le constate chez beaucoup de gens autour de moi. Chez mes amis hétéros c’est plus souvent des contenus plus privés relatifs à leurs enfants, à leurs états d’âme, etc. Bref, chacun fait comme il veut, il n’y a pas de règle. Mais comme il n’y a pas de règle, tout le monde s’est mis à ajouter des gens dans son cercle sans les consulter, et s’est aperçu ensuite qu’ils avaient peut-être mis ces « amis proches » dans la situation un peu gênante de voir des selfies douche qu’ils n’espéraient pas spécialement voir. Et donc, maintenant, ils sont tous là à essayer de ne pas froisser les susceptibilités en vérifiant régulièrement leur consentement. Sur Twitter, où le « cercle vert » est une fonctionnalité arrivée plus récemment, les gens contournent ce biais, en demandant plutôt d’avance à leurs followers s’ils voudront faire partie de leur cercle « rapproché ». Mieux vaut prévenir que guérir.
Mais ces stories « t’es sûr que t’es d’accord hein ? », je trouve ça relou. Déjà, parce que sauf s’ils sont stupides, ils ont ajouté à leur cercle « amis proches » des gens à qui ils allaient proposer des contenus « amis proches » dans la lignée de leurs échanges privés. Je suis gay et je n’ajoute pas à mon cercle vert des mecs hétéros ou des copines de fac pour leur partager mes selfies salle de bain. Je n’ajoute que des hommes gays avec lesquels il y a eu, à un moment ou à un autre, un vague flirt, une conversation laissant transparaître une proximité d’idées sur ces pratiques, ou un signe d’attirance physique, même sans promesse d’une rencontre ou d’un rapport sexuel : a priori, pas des gens qui devraient se vexer de voir apparaître de temps en temps un cercle vert sur une de mes stories.
Ensuite, ça me fait lever les yeux au ciel parce que, comme je le disais plus haut, je ne pousse pas des nudes ou des gros plans sur mes parties génitales dans leurs DM : ce sont des stories, les gens sont libres de les masquer, de me « muter », de me bloquer même s’ils se sentent offensés, ou bien tout simplement de prendre leurs couilles et de m’envoyer un DM pour me demander de les enlever du cercle vert. Libre à eux de m’expliquer ou non leur malaise : quoi qu’il en soit, évidemment je respecterai leur volonté et les enlèverai de ma liste « amis proches », sans rancune. Ce n’est quand même pas si insurmontable. Pour ma part, je vois parfois apparaître un cercle vert autour des stories de personnes avec qui je n’ai pas spécialement flirté : à moins qu’elles postent des trucs ouvertement commerciaux avec des liens et des musiques pénibles impossible à skipper, je laisse faire. Je prends plutôt ça comme une marque de confiance, ou comme un compliment, le mec me considérant comme un mec dont il serait flatté d’avoir des réactions positives sur ses inoffensifs thirst traps. Et puis, c’est Instagram, c’est pas comme si on pouvait poster du porno.
Enfin, et surtout (et c’est là que je vais me ranger du côté des vieux cons et des boomers), ça me gonfle de faire ce genre de démarche préventive, parce que ça traduit un environnement de « snowflakes » (oui, je sais que c’est un terme de mec de droite), une ambiance où on marche sur des œufs tout le temps, avec tout le monde, partout et même sur ses propres comptes personnels, pour ne pas heurter des susceptibilités de plus en plus fragiles qui ne supportent plus d’être exposées à la moindre contrariété sans partir en croisade indignée. « Excuse-moi, ça te dérange si je publie une photo où on voit mon torse ? Nan mais dis-le moi, hein, j’attends tes instructions pour savoir ce que je peux publier sans te déranger ni t’offenser ». Il y a quelques jours, Orpheus a publié un article sur les content warnings : il faudrait avoir en permanence l’obligeance de prévenir ses abonnés, sur les réseaux sociaux, qu’on va publier un truc qui pourrait les choquer, et si possible mettre un filtre avant affichage de la photo ou de la vidéo, comme c’est possible sur Twitter. Et autant je peux accepter (et même voir s’élargir leur liste avec le temps) qu’il y a des sujets ouvertement sensibles et pour lesquels il y a « consensus » à ne pas les balancer sans ambages dans la timeline des gens (suicides, troubles alimentaires, violences, etc.), surtout en images, autant j’ai un peu de mal avec l’idée de mettre un trigger warning préventif à chaque personne de mon cercle vert, que j’ai a priori ajoutée en fonction de critères entendus, et qui sont libres de me demander de les enlever à tout instant. Je me vois mal poster une story verte « préventive » à chaque fois. « Attention, dans l’écran suivant, vous risquez de me voir nu dans le miroir de ma salle de bain, avec mon bas ventre et la naissance de mon pubis en bas de la photo. N’hésitez pas à m’envoyer un DM si vous voulez que je supprime ou si vous êtes trop choqués. ». Seriously, grow a pair. Si ça vous dérange, dites-le.
Ce climat de consentement d’avance et par principe à des contenus qui se trouvent sur MON compte et pas dans TA boîte mail ou tes DM, ça relève d’un niveau d’entitlement (croire que tout vous est dû) qui me fait eyeroller à chaque fois.
« Excuse-moi, tu pourras prévenir la prochaine fois que tu publies une photo de toi promenant un chien en laisse ? Parce que le fait de tenir des animaux en laisse ça me choque vachement, tu vois. C’est de la maltraitance. J’ai eu beaucoup de mal à me remettre de ton post. Sois plus sensible la prochaine fois. »
« Euh pardon mais c’est quoi cette photo de ton assiette au resto, là ? Y’a de la viande dedans, et moi je suis vegan. Alors la prochaine fois épargne-moi ça dans ma TL, merci. »
« Attends, c’est quoi cette photo de toi torse nu, là ? T’as pas l’impression de m’imposer ta nudité et de violer mon consentement ? Franchement je suis choqué, j’avais jamais vu un torse de ma vie, en plus il est même pas musclé, beurk. Publie d’autres trucs sur ton compte par respect pour moi, ok ? »
« Tu peux arrêter de poster des photos de ton torse musclé ? D’abord ça me trigger dans mes complexes et puis ça me heurte dans mes convictions politiques sur la normalisation des corps au sein des sociétés capitalistes. T’es vraiment problématique. »
GROW. A. PAIR.
T’es pas prisonnier d’un compte Instagram auquel tu es abonné. Bonjour l’infantilisation si tu comptes sur les gens que tu suis pour constamment s’adapter à toi comme si tu étais incapable de supporter un contenu qui te déplaît ni de gérer ça comme un grand. Tu as des options. Unfollow. Mute. Demande à ne plus être dans le cercle vert si tu trouves que ta relation avec la personne ne justifie pas de voir ses photos en slip. Mais ne demande pas aux gens de faire ce que TU veux sur LEUR compte. Et le fait que, justement, les gens se sentent tellement paniqués à l’idée de commettre un impair et de vexer la susceptibilité d’internautes qui ne semblent plus, en 2023, supporter d’être exposés à un contenu, un avis, une photo qui ne leur conviennent pas, et qu’ils crient immédiatement à la violation de leur consentement et de leur individualité sacrée sans, simplement, masquer, se désabonner ou demander poliment à ne plus être dans une liste, ça me donne franchement le sentiment qu’on vit dans un monde où plus personne n’a envie de se confronter à l’autre ni de gérer le moindre inconvénient mineur sans se sentir attaqué, et que c’est pas encore cette année qu’on va réapprendre à faire société de manière apaisée et à respecter la liberté des autres à vivre et respirer comme ils veulent.
Matoo
mai 26, 2023 at 4:34Je vais encore plus loin car même recevoir une bite, ça va hein, on n’est tout de même pas aussi fragile que cela. Si c’est un malotru, on le bloque et on l’oublie. Si c’est une maladresse, on peut gentiment redresser la barre, en demandant d’arrêter si la bite est moche, ou alors en faisant semblant d’houspiller le gars qui semble tout de même bien plus intéressant depuis qu’il a démontré qu’il a le nombre d’or du braquemart. :DDD
Donc en effet le lève outrageusement les yeux au ciel quand je vois les demandes de liste verte sur IG, et je crois au fond que c’est juste pour avoir des échanges beaucoup plus scabreux en privé, et de voir qui prend la perche ainsi tendue. ^^
Vinsh
mai 30, 2023 at 4:20Je n’avais pas pensé à la dimension « appel à DM » pas trop assumé. Mais c’est vrai que c’est possible. ^^
Mon message reste le même, cependant : assumez de demander en DM, au cas par cas, si vous sentez un « souci » avec une personne qui serait mal à l’aise avec vos selfies de salle de bain (vous devez bien imaginer desquels il s’agit, ceux qui pourraient prendre ça pour de la drague lourde, insistante et non souhaitée), mais n’allez pas quémander l’approbation de tous vos abonnés, comme si les avoir ajoutés dans vos « amis proches » était d’avance et principe une agression et non une marque de confiance ou d’intérêt. Ils sont assez grands pour vous le dire, si c’est faux au point que ça les dérange.