Slut shaming

 

On ne naît pas tolérant, on le devient. Les scandales et polémiques numériques de ces dernières années, sur les gens rattrapés par des vieux tweets et des groupes Facebook minables de la fin des années 2000, sont là pour nous rappeler, non pas que personne n’est à l’abri de la cancel culture (rappelons que Roman Polanski est tellement cancelled que son prochain film est en tournage et devrait sortir en 2022), mais que nous avons tous pu, à un moment ou à un autre, être débiles, problématiques, ou simplement des petits cons sans empathie ne se rendant pas compte de la violence de ce qu’on vomissait sur Internet, nous croyant à tort dans des espaces privés où nos vannes douteuses ne laissaient pas plus de traces qu’à l’oral, bourrés dans un bar à vingt-trois heures.

 

Cela n’excuse rien aux conneries du passé, mais nous changeons tous, nous grandissons, et des gens très fréquentables aujourd’hui ont pu être des blaireaux dans le passé et l’avoir totalement oublié ou soigneusement balayé sous le tapis. Voire, inconsciemment, un peu des deux. L’audience et la notoriété rendent simplement certains plus visibles que d’autres quand leurs vieux jeux de mots sexistes, racistes ou homophobes viennent leur exploser à la gueule une décennie plus tard. Évidemment, je ne parle pas de raids de harcèlement en ligne, hein, mais de conneries balancées sous prétexte d’humour ou de bons mots, à une époque où Twitter, notamment, était beaucoup plus amer qu’aujourd’hui (si c’est possible) et largement trusté par des CSP+ blancs et urbains pas toujours très déconstruits quant à leurs privilèges.

 

Tout ça pour dire qu’on a tous exprimé des avis un peu cons en ligne, qui ont pu changer entretemps, à mesure qu’on a grandi, rencontré des gens, élargi nos horizons. Mais s’il y a un truc qui était débile il y a quinze ans et qui l’est toujours aujourd’hui, c’est le slut shaming.

 

Il faut le dire comment ? Les gens font ce qu’ils veulent de leur cul, ils n’ont pas de compte à vous rendre. A moins d’être votre conjoint, et encore. Votre conjoint n’a pas de compte à vous rendre sur son passé sexuel, et son présent peut se négocier avec vous sous des formats multiples, qui ne regardent que vous et la configuration avec laquelle vous êtes à l’aise. Même ça, en vrai, ça devrait pouvoir rester ouvert à la discussion, à mesure que vous évoluez ensemble. Même si c’est pour conserver un statu quo. Discuter de sexe, de ce qu’on veut et de ce qu’on ne veut pas, devrait pouvoir se faire librement, sans avoir peur d’être jugé, et avec l’amour et la bienveillance que supposent une relation de long terme.

 

Mais le sexe est un sujet compliqué, ou qu’on rend compliqué, dans notre société toujours crispée au vingt-et-unième siècle. C’est tabou pour certain. Trivial pour beaucoup d’autres. C’est compliqué d’avoir des conversations sérieuses mais concrètes sur ce sujet. Et pour moi, cela tient probablement à la vulnérabilité dans laquelle ça nous met. La nudité, le plaisir, la séduction, l’image de soi, l’endurance, le partage, la performance… Tous ces trucs plus ou moins polluants qui lient le sexe à l’image qu’on a de soi-même. Alors on en rigole pour avoir l’air détaché, rassuré. Parler sérieusement de ce sujet, c’est quelque chose qu’on fait avec quelques élus, triés sur le volet, avec lesquels on se sent en confiance, pas dans le jugement.

 

 

Alors avec ce genre de blaireau, parmi des dizaines d’autres, qui balance ses jugements à l’emporte-pièce sur ce que les femmes devraient ou ne devraient pas avoir fait de leur vie sexuelle, on retombe dans le tabou, la peur de ne pas maîtriser, la volonté de soumettre l’autre à ses propres angoisses et à son mode de pensée. Je dois manquer d’empathie, mais j’ai vraiment du mal à comprendre ce genre d’état d’esprit chez quelqu’un qui a dépassé les quatorze ans. Que ce soit en 2021, ou en 2007 quand Twitter balbutiait. Mec, qu’est-ce que ça peut te foutre ?

 

On ne décortique pas assez à quel point le sexisme et l’homophobie sont liés. Pourtant ils relèvent du même type de domination, et de la même idée lointainement ancrée en nous : être pénétré, c’est s’avilir. Dans cette perspective, le pénis, c’est un outil de conquête et de soumission de l’autre. Quelle tristesse. Alors forcément, un homme qui couche avec d’autres hommes subvertit cette idée de domination masculine, surtout s’il se fait pénétrer. Quant à une femme, plus elle a de partenaires, plus elle s’avilit, plus elle se dévalorise. Notre société a cette obsession bizarre sur la virginité, notamment des femmes, comme pour en maîtriser à la fois la fécondité et la vie sexuelle. Laisser un pénis te pénétrer, c’est sale, c’est baisser les barrières de ton corps sacré face à un preux chevalier bite venu te conquérir, et une fois que c’est fait, revendiquer un peu de ta propriété. Un schéma de pensée archaïque et stupide qui domine encore largement notre manière de penser et parler le sexe. Alors forcément, quand on n’a aucun recul et aucune réflexion sur l’égalité entre les sexes, c’est ce genre de déclaration idiote qui arrive : ce qu’une femme devrait être, ce qui la rend respectable. Mais ta gueule, mec, bordel.

 

Tant qu’on sera coincés avec cette idée que le sexe est tabou et sale, et surtout avec l’idée qu’avoir des partenaires multiples c’est valorisant pour un homme (c’est « conquérir des vagins ») et dévalorisant pour une femme (c’est « céder son corps ») ou un homosexuel, on n’avancera pas, et les femmes seront toujours les perdantes (notez que, justement, ça en arrange probablement certains).

 

Girls can wear jeans and cut their hair short
Wear shirts and boots ’cause it’s okay to be a boy
But for a boy to look like a girl is degrading
‘Cause you think that being a girl is degrading
But secretly you’d love to know what it’s like wouldn’t you
What it feels like for a girl

Madonna, What it feels like for a girl

 

 

Baisez avec qui vous voulez, vous n’avez de comptes à rendre à personne, si ce n’est à vous-mêmes et à la personne qui partage votre vie, selon les modalités de votre relation. Et ces modalités n’ont pas à être ce que les autres en attendent.

Une réflexion au sujet de « Slut shaming »

  1. Matoo

    novembre 2, 2021 at 12:32

    Cela me dépasse que plein de jeunes en soient encore à ce niveau de considération et de jugement d’autrui, et aussi encore dans un regard asymétrique homme/femme sans ciller. Mais vraiment l’émancipation et la libération sexuelle doivent encore continuer à s’affirmer.

Les commentaires sont fermés.