Il s’annonce mal, ce Noël. Pas horrible, mais pas génial. D’abord je n’ai absolument pas la sensation d’être le 23 décembre. On ne parle que du covid, du variant Omicron, des contaminations qui explosent. 84 000 sur la seule journée d’hier en France. C’est la première fois, en cinq vagues, que je sens le truc vraiment, concrètement, s’approcher de moi. Non pas que je ne vivais pas, comme tout le monde, au rythme des vagues et des variants depuis deux ans, mais là ça prend une tournure plus tangible : c’est la première fois, depuis deux semaines, que j’ai vraiment beaucoup de gens positifs parmi ceux que je côtoie : des potes, des collègues. Des réveillons qui vont se faire en visio pour certains, avec leur période d’isolement. Je me doute bien que ça arrivait avant, mais c’est seulement cette année que ça arrive dans mon entourage direct.
Je ne parle pas trop du covid, je ne sais pas trop comment je suis passé entre les gouttes depuis mars 2020. Je me lave les mains. J’évite les bises. Je porte un masque quand je circule dans les lieux clos, mais il y a bien longtemps que, comme tout le monde, les consignes contradictoires m’ont découragé et que je ne cherche plus de logique pour ce qui est de l’attitude à adopter quand je stationne : pas de masque assis au resto, masque au cinéma, pas de masque en concert, masque dans le métro, pas de masque quand je bois un verre au bar… Je fréquente des gens, je dîne avec eux, je couche avec d’autres, et pourtant depuis deux ans, pas de symptômes, et les trois cotons-tiges (avant les vacances en 2020, la veille de mon mariage il y a quelques mois, et hier soir avant de partir fêter Noël chez mes parents) que j’ai pris dans le nez sont tous ressortis négatifs… Mais comme l’année dernière, on ne va parler que de ça, de nos contacts « pas essentiels » qui seront de nouveau pointés du doigt en janvier, du probable couvre-feu qui vient. Ça ne fait pas très Noël.
Et puis il y a ce climat aussi. On se croirait vaguement en novembre, il fait moche, on a eu de la fausse neige et du verglas pourri, les décos de Noël dans les rues ne sont pas parvenues à instiller en moi l’idée que ce sont les fêtes, là, dans à peine trente-six heures. On bosse jusqu’au 24 décembre, puis on enchaîne direct avec une vague semaine de pause, mais sans projection, sans réelle réjouissance. J’ai acheté mes cadeaux il y a un mois, je me souviens à peine de ce que j’offre aux uns et aux autres, je vais débarquer chez mes parents comme anesthésié de Noël.
Pourtant, signe que je ressens bel et bien qu’on est fin décembre : le moral est bas, il sent bon la fin d’année, l’impression de n’avoir rien accompli et de bilan famélique avant d’aborder l’an qui vient. Mais l’esprit des fêtes, non. Je ne dois plus passer assez des temps dans les magasins en décembre. Je suis passé au marché de Noël il y a deux semaines et c’était comme si j’avais traversé une brocante, ça ne m’a rien fait. Même le téléfilm gay de Netflix (relativement naze, il faut bien l’avouer), j’aurais pu le regarder en juin que ça m’aurait fait le même effet.
Facile d’attribuer ça au contexte sanitaire et à nos vies monomaniaques avec le virus depuis deux ans, mais je suppose que le reste n’aide pas : la crise sociale, la campagne électorale encore une fois nauséabonde, les crispations des uns et des autres. Le cliché des conversations pénibles autour de la table du réveillon est un gag récurrent dans les memes sur Twitter et Instagram, mais il est souvent encore plus fort lors des années présidentielles. On va essayer de ne pas s’engueuler avec tout le monde à table, cette année. Non pas que je sois le plus véhément, d’ailleurs, mais il faut reconnaître que les sujets susceptibles de déraper ne manquent pas.
Alors cette année, on s’efforcera de ne pas être trop triste, de passer un bon moment, sans s’énerver quand on entendra une énorme connerie sur les vaccins ou sur les candidats qui n’ont que des idées fascistes pour boussole électorale. Et puis on pensera peut-être un peu plus, maintenant qu’ils ne sont pas qu’une vague abstraction de mec entre deux âges précaire dans un foyer pour sans-abris, mais peut-être un pote ou une collègue qui réveillonnera seul(e) devant sa tablette avec ses parents sur Zoom, à ceux qui sont seuls. Et à la chance qu’on a, bon an mal an, non seulement de ne pas être malade, de ne pas se sentir dangereux pour son entourage ; mais aussi de pouvoir compter sur ses proches et sa famille, toute dysfonctionnelle soit-elle, dans ces instants où la « norme » des fêtes pèse si fort sur nous, et de ne pas avoir besoin de se créer un cocon alternatif de sécurité affective, émotionnelle et matérielle, pour passer une nouvelle fois ce cap de l’inévitable esprit mi-mélancolique mi-joyeux-mais-forcé de la fin d’année.