La mue des platanes

 

Certains ont pour ennemi le pollen, au printemps. Et je ne suis pas sûr de les envier. Mais mon ennemi printanier est bien plus commun : le duvet des platanes. Depuis que je n’ai plus de lunettes (mais un peu aussi avant), je ne peux plus marcher deux minutes en ville, un jour de vent au printemps, sans me ramasser dans l’œil un de ces petits morceaux volants de duvet entourant les fleurs et les graines des platanes. Car des platanes, il y en a des centaines dans les métropoles françaises, arbres d’agrément et d’alignement sans grandes exigences en eau ou en attention, qui ombragent nos trottoirs et nos stationnements de rue.

 

Et cette année encore, la mue des platanes a pris de l’avance. C’est quasiment une lapalissade, il n’y a plus de saisons ma bonne dame. Mais depuis combien d’année n’avons-nous pas eu, en matière de climat, une année « normale » ? Est-ce que ça existera encore, ou devons-nous prendre acte que c’est normal, désormais, de ne plus passer en-dessous de zéro degré de l’hiver, d’avoir de la neige en avril et de crever de chaud en mai ?

 

L’autre jour, nous nous promenions dans le quartier de la Croix-Rousse et prenions un verre en terrasse, comme tous bons citadins se jetant sur les terrasses au premier rayon de soleil, et j’ai bien évidemment reçu un bout de duvet de platane dans l’œil, ce qui m’a occupé pendant quelques minutes à essayer de ne pas me gratter pour déloger l’objet intrus et tenter de retrouver une vue normale. Comme je commence à les repérer, avec le temps, j’ai donc vu que nous étions cernés de platane et que, fait inhabituel à cette période de l’année, leur écorce avait déjà largement commencé à « peler », les laissant quasiment « nus », dévoilant leur surface jaune pâle sous l’écorce grisâtre.

 

A petit feu, nos vies changent, nos villes changent, nos printemps changent avec nous. On s’habitue à tout dans la mesure où on y survit. Ces écorces qui tombent, ces duvets qui s’envolent, ces fleurs de platane qui semblent déjà cramées en mai, peut-être que ce sont de simples signes du changement climatique. Peut-être aussi que ce sont eux, les platanes, qui tentent de survivre, de se reproduire coûte que coûte même si leur saison des pollens n’a pas encore commencé, de nous envoyer leurs morceaux de duvets dans la gueule pour nous dire qu’ils sont en train de crever. Peut-être que les pollens et les duvets ne sont pas nos ennemis. Peut-être que ce sont les arbres qui essaient de nous parler.

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