Les vents du sud

 

 

Ce n’est pas encore l’été, techniquement. C’est peut-être pour ça qu’on parle tant de la canicule qui commence. Juin ou juillet, peut-être que dans nos têtes ça ne change pas grand-chose, pour crever de chaud. Mais si c’est encore le printemps et qu’il fait 38°C…

 

Je fais comme à chaque fois, je laisse les volets clos ou mi-clos la journée, histoire de ne pas laisser trop de chaleur entrer, trop de soleil cogner aux fenêtres. Je vais au boulot en t-shirt, et peut-être que demain le bermuda deviendra incontournable. Je n’envie pas les mecs obligés d’être en costard tous les jours. Je bois de l’eau, même quand je n’ai pas soif, parce que j’ai peur d’être comme ces retraités qui ne se rendent pas compte qu’ils ont soif et se déshydratent silencieusement jusqu’à tomber dans les vapes. Et le soir j’aère, je vis à poil. Pour l’instant c’est gérable. La température nocturne, le point le plus délicat habituellement, reste acceptable jusqu’à présent. On peut encore dormir sans avoir l’impression de bouillir intérieurement, du front, du ventre, des jambes. Dans quelques heures ce ne sera peut-être plus possible.

 

Des canicules, il y en aura d’autres. Peut-être même à nouveau dans quelques semaines. La météo ce n’est jamais qu’un cycle d’anticyclones, de vents du sud et de vents venus du nord, qui alternent plus ou moins bien, impactés par l’activité humaine. En août, on aura encore nos 38°C un peu partout, et on reverra des reportages nous rappelant comme depuis 2003 qu’il faut bien penser à surveiller et hydrater nos personnes âgées. Et on continuera à gloser sur le réchauffement climatique, c’est terrible, que vont devenir nos enfants, comment on peut faire pour ralentir le changement climatique, on n’a plus beaucoup de temps pour éviter la catastrophe… mais la catastrophe, on y est déjà, et comme les homards qui ont commencé leur séjour dans une casserole d’eau froide et paniquent maintenant qu’elle est à 60°, on ne peut pas faire grand-chose de plus, à notre échelle de petite crotte insignifiante, que d’espérer ne pas mourir tout de suite, peut-être en mettant moins la clim’ et en prenant moins la voiture. De toute façon l’essence c’est cher et bientôt l’inflation va nous flinguer.

 

Je ne sais pas depuis combien de temps on n’a pas eu la paix, niveau nouvelles alarmantes et déprimantes. Depuis combien de temps on n’a eu ni la canicule, ni les fachos, ni le covid, ni la crise économique, ni le fermez vos gueules les gauchos ou on vous éborgne, ni la manif pour tous, ni les attentats, ni les bavures policières impunies, ni les violeurs récompensés, ni la guerre, ni rien pour nous culpabiliser d’exister et de tenter de fonctionner et d’être heureux dans un monde qu’on nous promet crevé d’ici deux décennies. Cette semaine c’est la canicule, dans quelques jours ce seront les pannes démocratiques, ensuite ce seront les pénuries, et puis après ce sera encore autre chose.

 

Et nous, alors que nous ne sommes même pas les plus à plaindre sur cette planète où nous avons si injustement distribué les richesses et les bienveillances, nous ferons comme d’habitude : nous subirons et ronchonnerons et nous aérant à l’éventail et en buvant nos petites gourdes d’eau à nos bureaux. Peut-être même que nous pleurerons des tragédies, des morts injustes. Mais nous ne pourrons que constater, pas remédier, ni éviter les suivantes. Et nous culpabiliserons, poussés ou non par le discours ambiant. Parce qu’il n’y a plus que ça à faire. Culpabiliser de ne pas agir, car agir contre le tsunami nous semble hors de portée. Culpabiliser de ne pas avoir agi, car il fut peut-être un temps où nous aurions pu anticiper et agir à nos petites échelles et où ça aurait servi à quelque chose, de faire pipi sous la douche, de ne pas conduire au diesel juste parce que c’était moins cher, de manger local et bio ou de bien recycler nos emballages. Mais c’était il y a trente ou quarante ans, pas maintenant. Maintenant on fait tout ça, ou on essaye, mais ce ne sont que des brindilles dans un système qui nous échappe largement.

 

Je crois qu’une partie de nous espère que c’est peut-être une évolution climatique qui a une fin, qui va s’arrêter, que ça ne deviendra pas plus grave que ça ne l’est maintenant, pour nous, pour nos agriculteurs, pour nos vieux, pour nos réfugiés climatiques, pour nos gosses. Peut-être que ça va se stabiliser, que ça va rester comme ça, une canicule par ci par là, la neige en mai et une catastrophe naturelle loin de chez nous de temps en temps. Et qu’on s’habituera. Et qu’on ne fera rien de plus qu’aujourd’hui. Ou peut-être qu’on va tous drastiquement perdre en qualité de vie dans les prochaines années, comme on nous l’annonce, mais qu’on ne veut le voir qu’au dernier moment, quand ce sera là.

 

En attendant, on vit en sous-vêtements chez nous, en se croyant presque en vacances dans une contrée tropicale alors qu’on va bosser le lendemain matin. On paresse, on s’hydrate, on affiche une mine concernée, on essaye d’éviter de mettre la clim’ pour rien, et on se dit que c’est déjà pas si mal de notre part.

Les commentaires sont fermés.