L’affiche du Planning Familial

 

 

Qu’est-ce que ça peut vous foutre, putain ? J’ai passé deux jours à lever les yeux au ciel, à lire vos conneries. J’ai vu des tweets passer tout le week-end sur la « polémique » de l’affiche du planning familial, avec TERF et autres bigots sortant du bois en brandissant moqueries, insultes, et évidemment victimisation, comme il est devenu courant de le faire pour faire passer des idées d’intolérance et de rejet de l’autre pour du « débat ». Ouin ouin, on peut plus rien dire. Ouin oui, on me traite d’extrême-droite parce que je dis qu’un homme trans qui a gardé un utérus c’est une femme. Ouin ouin, j’ai toujours pas appris en 2022 que c’était de l’enfoirage de sale con de mégenrer les personnes trans et tout le monde va me tomber dessus, ma vie est trop dure. Ouin ouin, je balance ma rhétorique transphobe en criant au « négationnisme biologique », avec toute la violence et la portée symbolique d’un mot pareil, et je me protège de toute critique en traitant les autres de « camp du bien » pour les faire passer pour les « vrais intolérants » et me dédouaner de ma saloperie. Je suis un incompris dans ce monde qui devient fou, certainement pas un crétin incapable de lire correctement une affiche ou de faire preuve d’un peu d’empathie envers ceux qui ne sont pas comme moi, bien sûr.

 

J’en ai ras-le-bol de ces polémiques de merde, de la part de gens qui s’arc-boutent sur leur cas personnel et pensent que tout le monde devrait penser et construire sa vie exactement comme eux. Dont des pédés. Des pédés de droite incapables de penser la marge, les gens pas comme eux, les gens victimes de rejet partout et qui n’ont bien souvent que quelques instances bienveillantes auxquelles se raccrocher dans un monde qui leur est hostile en permanence. Des pédés qui ne voient pas qu’ils reproduisent sur une autre minorité, une autre marge, plus discriminée, plus en danger et plus courageuse qu’ils ne le seront jamais, qui tente juste de vivre, les violences verbales et symboliques dont ils sont les premiers à se plaindre dès que ça les touche. La paille, la poutre.  

 

« Au planning familial on sait que des hommes aussi peuvent être enceints » : c’est quoi qui est trop dur à comprendre dans une accroche publicitaire comme celle-ci, qui vous oblige à la prendre au premier degré et à vous sentir attaqués ? Pourquoi vous vous sentez attaqués ? Pourquoi on ne vous entend pas quand une gamine de 16 ans, orpheline, est jugée trop immature pour avorter et donc suffisamment mature pour être obligée de devenir mère contre son gré ? C’est quoi, ce qui vous indigne ?

 

 

Vous découvrez l’existence des personnes trans ? Ça vous dégoûte ? Vous n’avez jamais vu passer des articles sur Thomas Beatie, qui a donné naissance à un enfant en 2008 ? Il était chez Oprah il y a quatorze ans, ça avait fait le tour du monde. Réveillez-vous. On dirait que vous avez Internet depuis dix minutes, que vous découvrez l’existence du T dans LGBT, vous êtes grotesques.

 

« Au planning familial on sait que des hommes aussi peuvent être enceints » : on va traduire pour les demeurés au fond de la salle. Au planning familial, nous sommes des professionnels de santé, et notamment de santé sexuelle, et nous savons que des hommes trans FtM (female to male) peuvent, sont en capacité, s’ils ont conservé un appareil reproductif interne et notamment un utérus, d’être enceint. La mise au masculin du mot « enceinte » est volontairement provocatrice et « catchy », parce que c’est une affiche et qu’on ne va pas mettre un texte de vingt lignes, mais à moins d’être complètement fermé, on sait ce que ça veut dire. C’est en effet possible : un homme trans FtM peut se retrouver enceint, c’est-à-dire enclencher une grossesse. C’est comme ça. C’est factuel. Que ça vous débecte ou pas. Comme une gamine de 15 ans peut se retrouver enceinte dès son premier rapport sexuel en ne comprenant pas bien ce qui lui arrive. Ou comme un femme de 40 ans qui se croyait infertile peut se retrouver enceinte. Ou comme un couple hétéro cisgenre qui a du mal à concevoir peut finir par vivre une grossesse. Et dans chaque situation, pour ces personnes qui ont besoin d’un accompagnement médical sans être jugées, les personnels du Planning Familial sont formés et savent accompagner ces gens dans leur grossesse, dans leur projet, qu’il soit un projet familial ou un projet d’IVG. Et donc, l’affiche dit simplement « Les personnels du Planning Familial sont formés à accompagner les couples vivant une grossesse dans des conditions rares, et sauront traiter chacune et chacun avec professionnalisme, respect et bienveillance ».

 

Faire semblant de ne pas le comprendre et jouer sur les mots pour mégenrer un homme trans, ce n’est pas innocent. Crier à la « réalité biologique » non plus. La réalité biologique, c’est l’argument qu’on brandissait il y a dix ans pour empêcher les couples gays et lesbiens de se marier et d’adopter. Avec tous les sous-entendus rances derrière, que vous recrachez aujourd’hui au visage des personnes trans. La réalité biologique, c’est qu’un homme trans peut, dans certains cas, vivre une grossesse. Que ça vous débecte n’y changera rien, et n’empêchera pas le Planning Familial d’être là pour l’accompagner s’il en a besoin, pas plus que ça n’empêchera des familles de se construire hors du cadre où vous voudriez qu’ils se tiennent sagement pour ne pas vous offusquer.

 

S’en prendre au Planning Familial, ce n’est pas innocent. Ce n’est pas seulement s’en prendre aux personnes trans. Ce n’est qu’un prétexte, dans un contexte où, il y a quelques semaines, l’arrêt Roe v. Wade était retoqué aux Etats-Unis. Le Planning Familial, c’est un acteur du champ social qui s’en prend plein la gueule depuis des années, et qui est d’habitude associé, dans l’imaginaire collectif, au contrôle des naissances, à l’accès à la contraception, mais aussi et surtout à l’accès libre à l’IVG. On fait semblant de ne pas le voir, mais appeler à désubventionner le Planning Familial pour une affiche sur un sujet « mineur » (l’accompagnement des grossesses des couples dont l’un des membres est trans n’est pas exactement le cœur d’activité du planning familial) pour lequel l’association se montre bienveillante, c’est avant tout, de manière détournée, s’attaquer au droit à l’IVG.

 

Demandez-vous pourquoi vous criez avec ces loups-là. Et demandez-vous pourquoi on ne vous entend pas parler de réalité biologique quand ce sont des couples hétérosexuels cisgenres qui cherchent à « forcer » la nature à leur offrir une grossesse quand même grâce à la PMA. Ce que vous faites, au fond, c’est dire qui est légitime ou pas à exister, à mener sa vie, à faire ses choix et à fonder une famille avec les moyens que son corps et que la médecine lui offrent. Et vous avez beau détourner l’attention en orientant vos tweets sur votre envie de mégenrer les gens et de rigoler autour d’un « hihi moi j’ai décidé que je serai une banane bleue non-binaire et si t’es pas d’accord t’es d’extrême-droite hihihi », vous cachez mal votre dégoût et votre transphobie. Ces gens fonderont leurs familles sans vous demander votre avis, de toute façon. Parce que leurs organes le leur permettent. Qu’il existe un organisme pour leur permettre de mener leur grossesse à terme en bonne santé, sans crever, c’est normal. C’est comme ça. Et les couples comprenant une personne trans continueront à se reproduire s’ils le veulent et le peuvent, de même que les femmes continueront à avorter même là où ce sera interdit parce que des crétins comme vous essayent de dessiner une frontière définitive, sans place pour les marges ni pour les cas individuels, de ce que les gens ont le droit de faire de leur corps, cis ou trans. Les femmes qui avortent existent. Les femmes qui ont besoin d’être aidées dans une grossesse, désirée ou non, existent. Les trans fertiles existent. Et vous n’y changerez rien. Get over it. Et vraiment, demandez-vous : qu’est-ce que ça peut vous foutre, à vous ? Qu’est-ce que ça vous empêche de faire, dans votre vie à vous, de pédé, d’homme hétéro, de femme cisgenre, qu’un homme trans FtM ait un utérus, conçoive un enfant, puis l’élève ? Rien. Alors foutez-la paix aux autres, et vivez votre vie en essayant de ne pas nuire à ceux qui ne vous ont rien demandé.

2 thoughts on “L’affiche du Planning Familial

  1. Matoo

    août 29, 2022 at 11:36

    Même réflexion et réaction, ce que ça me fatigue aussi…

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