Les pensées nocturnes

 

 

Je dors mal depuis le nouvel an. Pendant les vacances je dormais onze à douze heures par nuit, un tour complet de pendule, j’étais épuisé, tant et si bien que je n’avais aucune difficulté à me rendormir la nuit suivante et à repartir pour douze heures. Mais dimanche soir, saisi par la déprime de fin de week-end doublée de celle de fin de vacances, j’ai mis deux heures à trouver le sommeil, ressassant des pensées et des rappels de tâches du boulot, comme si une échéance hyper grave allait me tomber dessus dans la semaine. Sauf que non, j’ai vérifié dimanche en fin de journée en épluchant mes e-mails professionnels et mon agenda (on fait comme on peut avec son droit à la déconnexion, hein), la première semaine de 2023 allait être calme.

 

Quand on met des heures à s’endormir, comme ça, on change de position vingt fois, on a trop chaud ou trop froid, on sort un pied de la couette puis on le rentre, on écoute la respiration de son conjoint qui ralentit et devient plus profonde lorsqu’il s’est endormi, et on pense à des tas de trucs. Ce sont des heures étranges, où j’ai souvent l’impression d’avoir des pensées hyper claires et profondes, comme si j’avais une perception plus aiguë du monde et de la vie en générale. Une impression de lucidité inédite. Sauf que c’est n’importe quoi, un ping pong de pensées qui se bousculent et se répondent dans ma tête, avec une souplesse et une dextérité séduisantes mais factices. Des pensées nocturnes sans prises concrètes avec la réalité. Un peu comme des spasmes intellectuels, des vomis du cerveau, qui semble se décharger de trucs qui le pressurent dans la journée, comme les rêves. Une sorte d’ivresse. Comme celle de ces gens qui sont dans un demi-sommeil, ont une idée lumineuse qu’ils s’empressent de noter dans un carnet posé sur leur table de chevet afin de ne pas l’oublier dans la nuit, et qui se réveillent le lendemain en lisant des mots qui n’ont alors plus aucun sens, « observatoire lune chaussure soirée Cécile ». On sait pas si le mec jouait à Pyramide ou s’il faisait un AVC. Mais sur le coup, on a cette sensation de clarté limpide. On lit notre situation, notre perception d’un événement, comme si on avait enfin tout compris, ou juste découvert un angle inédit sous lequel voir les choses. En général, ça me donne envie de me lever et de foncer sur un clavier pour dérouler le fil de ma pensée dans un document Word, mais je ne le fais jamais. Déjà, parce qu’avec le temps, j’ai appris à reconnaître ce qui sera devenu, le lendemain matin, une bouillie mentale imbitable. Et puis surtout parce que : la flemme, en vrai, il est déjà 1h19 et ça fait déjà presque deux heures que je fixe le rai de lumière de la rue qui filtre à travers les volets, je ne vais pas me lever maintenant et me remettre trente minutes d’écran dans les dents, ça ne va pas arranger mon cas.

 

Reste que dimanche soir, puis lundi soir, puis mardi soir, j’ai mis entre une et deux heures à m’endormir, à chaque fois, ressassant des pensées sans queue ni tête, puis me suis réveillé deux minutes avant que mon réveil sonne au matin, comme si j’étais nerveux, comme si j’allais passer des partiels ou que sais-je d’autre. Est-ce que ça veut dire que quelque chose me préoccupe ? Ou bien est-ce que ça veut dire que tout va bien mais que j’ai simplement l’habitude d’être préoccupé et que je le « mime » sans raison, comme une espèce d’addiction au stress ? Ça me donne en tout cas un sentiment : si le travail prend moins de place dans ma vie que dans mes précédentes années en agence, il prend encore beaucoup de place dans ma tête. J’ai rétabli une sorte d’équilibre vie pro / vie perso depuis mon arrivée à Lyon, mais je trouve que ma vie pro prend encore beaucoup de place dans mes pensées, j’ai du mal à lâcher prise, comme si j’avais encore un syndrome de l’imposteur, comme si je redoutais sans cesse le moment où un truc va mal tourner et où on me sanctionnera, forcément, de n’avoir pas été à la hauteur d’un truc, de ne pas l’avoir anticipé, de ne pas m’être organisé, de ne pas avoir été un vrai pro.  

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