Les enfants de la Manif pour Tous

 

 

France Culture a consacré un reportage aux enfants de la Manif pour Tous. On pensait déjà à eux en 2013. Ces gamins de 4, 7, 10 ans, parfois un peu plus, qui manifestaient avec leurs parents contre les droits des personnes homosexuelles, sans se rendre compte, ou plus cruellement encore, en en ayant la sourde conscience, qu’ils manifestaient contre eux-mêmes, contre leurs propres droits, contre leur propre avenir.

 

A l’approche du dixième anniversaire de la promulgation de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, on voit fleurir les articles, les tweets, les threads et autres reportages sur cette loi, avec ces dix ans de recul : le nombre de mariages, les divorces, les gens qui ont changé d’avis, les gens qui étaient contre mais ne voient plus l’intérêt de revenir sur la loi, la place de la manif pour tous dans la mobilisation et la banalisation de l’extrême-droite ces dernières années… Il y a même eu un journaliste qui s’est fait sévèrement allumer la gueule sur Twitter pour avoir émis l’idée de retrouver et de réinterroger la nobody bourgeoise réac qui avait ânonné ses « c’est contre nature-han » au micro du Petit Journal à l’époque : l’initiative a été fusillée à bout portant, personne ne veut savoir ce qu’est devenue cette meuf, ni savoir si elle a changé d’avis ou pense toujours pareil, et surtout pas lui donner une nouvelle plateforme de visibilité qu’elle ne mérite pas et qui n’apporterait rien de neuf ou de positif. C’est une grosse conne, on le sait déjà, ça dégage, c’est tout. On s’en cognait de son avis il y a dix ans, même pour se foutre de la gueule de ses tics de bourgeoise du seizième, et on s’en cogne toujours aujourd’hui, merci beaucoup.

 

Ce dixième anniversaire, dans quelques jours, va être assez dur, je pense. On va revoir les images des défilés, on va entendre des politiciens de droite tenter de justifier péniblement leurs positions réacs d’il y a dix ans (comme Aurore Bergé qui tentait, en avril, de se raccrocher aux branches d’une vieille tribune à l’homophobie pourtant éloquente dans Le Plus), on va voir l’extrême-droite balayer d’un revers de main le sujet, on va peut-être même se coltiner des Frigide Barjot et des Ludovine de la Malbaise ressorties du formol pour l’occasion, et qui en profiteront sûrement pour tenter de se repayer un quart d’heure de célébrité alors que la décence consisterait à les laisser sombrer dans les poubelles de l’Histoire et dans l’oubli.

 

Mais ces gamins qui grandissaient dans des familles où on leur envoyait un message très clair, « pas de pédés chez nous », on était des milliers à penser à eux, en 2013. A tweeter et dire aux blaireaux qui manifestaient contre les droits des autres en trimballant sur leurs épaules des bambins inconscients de la portée des drapeaux qu’ils brandissaient et des images d’eux-mêmes, en petits pulls roses à logo facho, qu’ils offraient au monde : pensez à ceux de vos gamins qui, dans deux ans, cinq ans, dix ans, seront ados et n’oseront pas vous parler de leurs doutes sur leur orientation sexuelle. Pensez à votre gamin qui sera peut-être gay dans quinze ans et qui voudra se marier, et que vous rejetez déjà, d’avance et par principe. Le reportage de France Culture, même s’il ne s’appuie que sur deux témoignages, confirme ce qu’on pouvait craindre à l’époque : ces gamins, comme tous les gamins homos, ont grandi seuls avec leur secret, ont tenté d’en parler avec leurs parents mais ont d’autant plus tardé qu’ils connaissaient leur très publique hostilité envers les homosexuels (mal dissimulée derrière leur croisade de « protection » de la famille), et ont bien évidemment rencontré du rejet.

 

J’ai déjà beaucoup écrit à l’époque, des articles que j’ai archivés depuis, des tweets, des posts Facebook. Même des trucs plus récents, à l’occasion des dix ans du vote de la loi à l’Assemblée Nationale. Je reste tremblant de colère, dix ans après, qu’on nous ait jeté en pâture à la vindicte réac pendant plus de huit mois, pour une loi qui était déjà passée comme une lettre à la Poste dans plusieurs pays européens, juste pour occuper l’espace médiatique et le laisser à des crypto-fachos, à nos dépends. La victoire était entendue d’avance, mais elle était amère.

 

Je ne comprends toujours pas les arguments contre le mariage pour tous, qui n’enlève rien à personne ni ne recouvre d’obligation supplémentaire pour qui que ce soit. Si vous voulez être hétérosexuels et vous marier à l’église, personne ne vous en empêche. Ce besoin de dire « non, toi c’est pas pareil », « le mot mariage c’est pour moi ; toi tu mérites un autre mot, du genre sous-mariage », « protégeons les enfants du péril de l’adoption par des couples gays », « non, ton mec ne peux pas devenir ton mari, il ne sera jamais ta famille, jamais ton héritier, jamais on ne lui offrira de statut protecteur en cas de pépin », ça me dépasse. Ça fait de vous des grosses merdes, des petits fachos en puissance qui veulent policer la vie des autres pour la plier et la tordre jusqu’à ce qu’elle ressemble à la leur, comme pour la valider. Et ça a fait du mal à tout le monde : à vos gosses pour commencer, à des gens que vous ne connaissez pas et dont vous n’aviez rien à foutre ensuite, et à la société entière qui a vu les groupuscules d’extrême-droite noyauter votre mouvement et s’épanouir en pleine lumière sur la base de vos petites manifs roses de gros cons, avec les relents d’homophobie, de sexisme et de racisme dont nous profitons désormais quasiment chaque jour en France, à l’image de la démission du maire de Saint-Brévin après l’incendie de sa maison et les menaces de fachos en raison de son soutien en faveur d’un projet de centre d’accueil pour migrants, ou du défilé de militants néofascistes dans Paris le 6 mai dernier. Tout ça, ça prend racine il y a bien longtemps, avant tous ces débats. Mais la Manif pour Tous, en plus d’endoctriner et de faire flipper des centaines d’enfants et ados LGBT, de décomplexer les réacs homophobes et les néo-nazis sous couvert de christianisme bon teint, et de contribuer directement à la hausse des agressions LGBT-phobes, en a été l’un des terreaux les plus fertiles ces dix dernières années. Honte à vous.

6 thoughts on “Les enfants de la Manif pour Tous

  1. Matoo

    mai 12, 2023 at 4:57

    J’ai écouté l’émission aussi il y a quelques jours, et c’est terrible d’écouter les témoignages et d’imaginer les discours qu’ils se sont tapés les pauvres. La violence n’était vraiment pas éloignée de ce qu’on pensait. Et c’est d’autant plus frappant avec ce couvert de pull à capuche bleu et rose avec la famille nucléaire thermocollée. Mamma mia. :-/

    • Vinsh

      mai 12, 2023 at 5:01

      J’ose même pas imaginer le manque de confiance en tes parents et en l’inconditionnalité de leur amour, dans lequel tu dois grandir, avec des souvenirs pareils dans ton enfance. Le coming out doit être une telle angoisse. Déjà que sans avoir vécu ça, moi, j’avais moyennement confiance dans la réaction de mes parents… 🙁

  2. orpheus

    mai 12, 2023 at 7:42

    Ah ça, on les avait prévenu. « Faites gaffe à trimbaler vos gamins dans vos manifs homophobes. Dans quelques années… ». Et ce qui statistiquement devait arriver est arrivé… ‍♂️

    Normal que 10 ans après nous soyons toujours à vif sur ce sujet. C’était hyper violent comme haine. Ce qui explique que nous soyons nombreux dans l’incapacité de pardonner quoi que ce soit.

    • Vinsh

      mai 12, 2023 at 8:45

      Je ne sais pas comment sera mon ressenti dans dix ans, mais d’aujourd’hui, oui, j’ai beaucoup de mal à pardonner, ou même à excuser. :-/

  3. Orpheus

    mai 12, 2023 at 7:44

    Merci aussi pour le lien vers le reportage de France Culture. Je mets ça de suite dans ma liste de chose à écouter dès que j’ai un peu de temps.

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