Mommy Issues

 

 

C’est vrai tout ce qu’on lit ça ou là sur Alerte Rouge (titre français qui comme bien souvent ne rend pas hommage au plus subtil titre original Turning Red), le dernier Pixar. Qu’il est sympa. Mais pas aussi marquant, novateur ou révolutionnaire que les films des « grandes heures » du studio à la lampe sauteuse (Up, Toy Story 3, Inside Out…). Qu’il est un peu programmatique. Qu’il méritait une sortie en salles. Que c’est cool de voir un film d’animation d’un point de vue féminin, que ce soit au niveau des personnages principaux, de l’histoire ou de l’équipe de production. Que ça fait du bien de voir des minorités représentées dans un long-métrage de l’une des plus puissantes marque hollywoodiennes sans être réduits à des personnages-fonctions au second plan.

 

Mais s’il y a un truc qu’on lit beaucoup, c’est qu’il est une métaphore (pas très subtile au demeurant, puisque largement corroborée par son association quasi-immédiate à l’écran avec des protections hygiéniques) des règles et des changements survenant à la puberté : hormones, humeurs, distanciation avec les parents, recherche d’autonomie. C’est vrai aussi, et je suppose que c’est l’angle principal sous lequel on parle du film parce que, d’un point de vue marketing, c’est logique. C’est Disney, dans un film d’animation qui va être vu par des millions de gamins, qui parle frontalement de l’un des tabous les plus anciens de la fiction, un truc qu’on continue à représenter sous forme de liquide bleu et sans toilettes visibles dans les pubs qui sont supposées en parler : bien sûr que c’est un bon angle, ça montre qu’ils sont courageux, progressistes, qu’ils ont envie de faire avancer les choses dans le bon sens. Et c’est cool.

 

Mais je trouve que cela occulte un aspect au moins aussi intéressant du film : son auteure. Les critiques et analyses qu’on lit en ligne lorsqu’un film sort en salles ou en streaming s’intéressent rarement à l’auteur, surtout dans les cas des « blockbusters ». Et même lorsque l’on lit des choses sur des films de réalisateurs « connus » comme Ridley Scott, James Cameron ou Christopher Nolan, on s’attarde rarement sur la dimension d’auteur de leurs films : leurs thématiques récurrentes, leurs obsessions, leurs signatures visuelles et philosophiques… Seuls des cinéastes très marqués « auteurs » comme Tim Burton, Sofia Coppola ou Quentin Tarantino, parce que leur filmographie est presque caricaturalement marquée par leurs obsessions et sujets favoris, bénéficient d’un peu de considération pour leur « oeuvre » et leur démarche globale au-delà de leur film en promo du moment. Mais on ne fait pas cet effort pour la plupart des réalisateurs de blockbusters, et encore moins pour les réalisateurs de longs métrages d’animation de Disney ou Pixar, qu’on soupçonne d’office de n’être que les exécutants des commandes du département marketing de leur studio. 

 

Pourtant, Domee Shi, Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2019 pour Bao, reprend une bonne partie des thèmes de son court-métrage dans Turning Red, et on l’occulte globalement. Domee Shi, une réalisatrice sino-canadienne née en 1989 et qui a grandi dans le quartier chinois de Toronto, qui met en scène Meilin Lee, une jeune fille sino-canadienne qui a 13 ans en 2002 à Toronto… 

 

La dimension autobiographique (bien que teintée de fantastique) de Turning Red semble absente de tout ce que je lis sur le film, au profit des articles lolilol sur les règles, alors qu’elle saute aux yeux. Elle me rend curieux de Domee Shi en tant qu’auteure, de ce qu’elle va creuser, explorer, répéter dans ses prochains films. Quelles thématiques elle développera et déclinera. Les capacités d’adaptation qu’impose le métissage culturel. La peur d’être transfuge (de classe, de culture) et de décevoir d’où l’on vient. La volonté de se conformer. L’urgence de s’émanciper. Mais surtout, peut-être, ce rapport contrarié à la figure maternelle, qui englobe tous ces sujets dans Bao comme dans Turning Red

 

Ming Lee, doublée par Sandra Oh dans la version originale, est le vrai personnage principal de Turning Red. Tout comme la mère de Domee Shi, consultante en cuisine chinoise sur le film Bao qui passa des années à fabriquer des bao avec sa fille durant son enfance, est le personnage principal, la matière première de ses premiers films. Et évidemment, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a eu des trucs à régler avec sa maman, ou du moins avec la pression qu’elle a pu lui mettre pour devenir exactement ce qu’elle attendait d’elle. Quelque chose de plus universel que les clichés sur les parents asiatiques pourraient laisser penser. En parlant d’elle-même, Domee Shi parle de nous tous. Je m’étonne qu’un film si personnel et manifestement autobiographique soit « réduit » à une métaphore marrante sur les premières règles, alors qu’à travers ce sujet certes intéressant à aborder avec des enfants, il nous raconte bien plus. Et a le potentiel de faire résonner d’autres choses en chacun de nous.

2 thoughts on “Mommy Issues

  1. Matoo

    mars 28, 2022 at 2:32

    J’ai cru aussi que ça me plairait beaucoup plus. Il y a quelques trucs sympas, mais globalement pour moi le film est passé à côté. Surtout à côté de l’immense « vice-versa » et son sujet de la dépression chez une gamine, on se dit que le passage à la puberté aurait pu être un truc de ouf. Mais non.
    Je me suis demandé aussi si on pouvait traiter avec autant de libertés les clichés asiatiques (tiger mum and co) que des clichés afro-américains ou d’autres segments, et il me semble que non. ^^

    • Vinsh

      mars 28, 2022 at 2:39

      Clairement, il y a encore une forme de laisser-passer sur les clichés asiatiques, d’autres communautés seraient très vite défendues face à certains des clichés mis en scène. Mais la réalisatrice est asiatique et elle fait une comédie sur sa propre expérience familiale, donc je suppose qu’on peut ici prendre les clichés sur les familles asiatiques au même niveau que chez Margaret Cho ou Ali Wong.

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