Il y a des gens qui sont faits pour avoir vingt ans. C’est leur “pic” de beauté. Ils ne sont plus jamais aussi beaux les années suivantes, c’est terrible quand on y pense. Vous savez, ces mecs et ces meufs qui étaient si mignons et populaires au lycée, et que vous suivez maintenant de loin, sur Facebook, avec ce que les années leur ont mis dans la gueule, dans un élan de Schadenfreude dont vous avez un peu honte ? Il y en a d’autres qui s’épanouissent à la trentaine, soudain canons alors qu’ils ressemblaient à des têtards à l’adolescence. Et il y en a qui ne sont vraiment beaux qu’une fois qu’ils sont des darons. Je crois très sérieusement à ça. Certaines personnes, ça ne leur va pas d’avoir vingt ans ou trente ans, ils ont déjà l’air vieux. Mais quand ils ont soixante ans, ils sont “dans leur élément” et ils sont beaux. Je pense par exemple à quelqu’un comme Michel Blanc (paix a son âme) qui ne ressemblait à rien à vingt-cinq ans dans Les Bronzés, et à qui ça allait tout simplement mieux d’en avoir soixante, dans les annees 2010. A l’inverse, un Alain Delon était à son sommet dans les années 60 avec sa trentaine fringante, mais faisait dans les années 2000 l’effet d’un vieux beau un peu décati avec des poches sous les yeux qui n’arrive pas à lâcher son ancienne image de gravure de mode et l’arrogance qui venait avec. Bon, je prends des exemples d’acteurs morts, c’est un peu lâche, mais tu vois l’idée. Et évidemment, certaines personnes abordent tous les âges avec une forme de prestance et de grâce naturelle, mais mes exemples vont encore une fois être parmi des célébrités, cette fois-ci aux standards de beauté relativement peu atteignables : Naomi Campbell et les supermodels des années 90 qui sont encore superbes (en même temps c’est leur boulot, aussi), mais aussi des personnalités comme Catherine Deneuve, Paul Newman ou tiens, même, Robert Redford, mort cette semaine, que je n’ai jamais connu que comme vieux beau dans les années 90-2000 mais qui a percé comme jeune premier quelques decennies plus tôt, et dont j’ai découvert à l’occasion de son décès que c’était lui le mec sur ce meme, et non pas un quelconque bear des années 70 (ou Zach Galifianakis, comme apparemment les internautes semblaient le penser) :
Tout ça pour dire quoi ? Bon, déjà, que vieillir est un privilège avant de devenir un naufrage, et qu’en vieillissant on apprend aussi à se découvrir, à s’aimer, à savoir se valoriser et à connaître ses atouts, et que même si on a été un vilain petit canard au lycée ou à la fac on peut devenir pas mal quelques décennies plus tard, au moins dans le regard des autres, et peut-être un peu dans le sien. Et aussi, c’est un prétexte foireux pour parler de moi et d’une conversation récurrente sur mes réseaux sociaux : des mecs qui me draguent, ou qui me complimentent en DM a propos d’un selfie quelconque, et qui me demandent si je “sais” que je suis beau. Bon, alors déjà je ne suis pas dupe de la faveur sexuelle ou de l’attention attendue en contrepartie de ce type d’échange. Je ne doute pas que plein de mecs disent à d’autres mecs, sur Scruff ou en DM Instagram, qu’ils les trouvent canons juste parce qu’ils ont la dalle, et qu’après avoir tiré un coup ça ira mieux et leur enthousiasme sera un peu douché. Ensuite, la réponse est : oui, je le sais. Mais un peu comme je sais qu’il y a huit planètes dans le système solaire ou que le bitcoin est une cryptomonnaie : je le sais à force de l’entendre, pas vraiment parce que je le constate. Je prends et vis cette information à sa valeur faciale, émise par l’autorité compétente en la matière : les autres. Si demain, on me disait qu’il y a de nouveau neuf planètes dans le système solaire ou que le bitcoin est une gigantesque blague basée uniquement sur les pièces de monnaie virtuelles dans les jeux Super Mario, honnêtement je n’y connais tellement rien que je dirais probablement “ok fair enough”. De même, si demain plus personne ne me trouvait à son goût ou ne me le disait, je n’en serais pas plus étonné que ça. Cela voudra peut-être dire que mon apparence a changé, ou que les goûts ont changé, je ne sais pas. Que le “paradigme” a changé en tout cas. Mais à ce jour, oui, forcément, ce serait de la fausse modestie de ne pas admettre qu’on m’a trouvé beau des dizaines, voire des centaines de fois, et qu’on me l’a dit, écrit, fait savoir. Donc oui, je le “sais”. Mais je ne le vois pas. Je ne comprends pas trop ce qu’on me trouve. La barbe, peut-être. Je crois qu’on ne me calculait pas vraiment avant que je ne porte la barbe. Je suis grand et brun, aussi, c’est assez “dans les clous” de ce que les gens trouvent conventionnellement beau. Et puis, c’est con a dire, mais je crois qu’un truc qui plait aux mecs qui me draguent, surtout dans la “vraie” vie (mon personnage public en photos sur Instagram n’étant pas la réalité, mais le résultat de trente selfies ratés pour un seul potable), c’est justement que j’ai l’air de ne pas le savoir. Mon langage corporel ne transpire ni l’assurance ni la sensation de supériorité. Ça donne un air de “ne pas y toucher” qui, je crois, participe à mon charme, si on peut appeler ça comme ça. Moi, je vois les défauts. L’absence de muscles. Les épaules voûtées. Les bras trop longs et trop maigres. Le cul plat. Le bide proéminent. Les jambes trop fines. La pilosité bizarre. Les dents pas assez blanches. Mais je “sais” que je suis beau, dans le regard de certaines personnes. Donc je ne le conteste pas. Et si je n’ai rien à voir avec Paul Newman ni avec Michel Blanc, je pense qu’il y a aussi une dimension d’âge qui joue en ma faveur. Je crois que j’étais juste un mec de vingt ans à lunettes trop maigre, awkward et pas terrible, et que je suis un mec de quarante ans pas mal. J’étais fait pour avoir quarante ans, en somme, et dans vingt ans je serais peut-être juste un sexagenaire bof. Se savoir beau, c’est avant tout savoir que ça n’est que dans le regard des autres, parfois dans le sien, mais que ce n’est qu’une expression de subjectivité. Et on ne peut pas grand-chose contre une subjectivité, ou contre des subjectivités multiples. On ne peut qu’aller vainement contre le courant, ou se laisser porter et suivre le courant. Vous me trouvez beau, alors je l’accepte, alors je le suis.
Matoo
septembre 20, 2025 at 10:28Tu sais bien que c’es avant tout la pénurie d’actifs sur la côté ouest qui fait ça !!!!! :DDDDD
Vinsh
septembre 20, 2025 at 4:43Ne brise pas mes illusions :p
estèf
septembre 21, 2025 at 9:17Ah je l’aime ce texte et je le partage tant.
Vinsh
septembre 22, 2025 at 7:17Merci 🙂