L’un des changements majeurs de ma vie ces derniers mois, cela a bien évidemment été de quitter Paris pour venir vivre à Lyon. Pas tant que cela change grand-chose au type de vie que je mène au quotidien : j’ai le même genre de job, le même genre d’appartement, le même mec. Fondamentalement, ce n’est pas une vie profondément bouleversée, mes repères sont globalement les mêmes, le changement est avant tout géographique. Ce qui change, je crois, c’est le sentiment de tourner une page parisienne.
Paris, j’y ai donc vécu de 2008 à 2021. C’est un tiers de ma vie. Le meilleur, probablement. Celui des études enfin terminées, des premiers jobs, des histoires d’amour qui changent le cours de l’existence. C’est aussi un chapitre de vie qui a semblé se terminer en mars 2020, alors que le covid-19 a commencé à chambouler nos vies, peut-être pour de bon. Une partie de moi pense à ce que va être notre quotidien dans les dix prochaines années. Est-ce qu’on prendra toujours le métro masqués en 2030 ? Est-ce qu’on va retrouver notre monde d’avant ? D’ailleurs, est-ce qu’il était si génial que ça, le monde d’avant, avec son climat pourri, parano et raciste post-11 septembre 2001, post-21 avril 2002, post-13 novembre 2015 ? Sa crise environnementale ? Son capitalisme déréglé qui nous flingue et assèche nos ressources ?
Cela fait longtemps que l’insouciance semble loin, j’ai du mal à me souvenir d’une époque où la société française n’était pas obsédée par l’islam, le voile, les islamistes, les attentats, le RN… bref, les arabes, et son propre racisme. Une fatigue croissante, alors que toute la boussole politique des partis politiques français semble réglée sur les obsessions de l’extrême-droite depuis plus de vingt ans. Je n’en ai que trente-six.
Dans cette ambiance délétère, heureusement qu’on arrive à oublier un peu, à être heureux, de temps en temps. Et en bons bobos parisiens déconnectés, ces moments de joie s’incarnaient à Paris, dans nos bars, nos restos, nos concerts, nos clubs, nos cinémas, nos soirées dans nos appartements trop petits. Que des lieux où il faut payer ou consommer pour entrer, ou presque, mais ce n’est pas le propre de Paris d’être une ville moderne ultra-libérale où plus rien n’est fait pour que les gens stationnent gratuitement dans l’espace public. On ne va plus que d’un point de consommation à un autre. De l’endroit où on paye son loyer à celui où on loue son siège, de celui où on gagne son salaire à celui où on ne peut pas rester si on ne se paye pas une bière.
Mais la vie parisienne, c’est comme ça, exerce une forme de plaisir et d’attraction, parfaitement disproportionnée au regard de ses qualités réelles, mais indéniable, sur ceux qui la vivent. C’est peut-être de l’auto-conviction. Ou bien le contraste saisissant entre nos intérieurs chers et étriqués, et le tourbillon d’une vie extérieure si riche, dans une ville où on vit plus hors de chez soi que chez soi. Le ciné à 22h30. Le verre en terrasse à 23h30. Le sauna à 1h du matin. L’avant-première de théâtre qui ne sera en tournée que trois mois plus tard. Les restos de candidats de Top Chef. Les expos dont on entend parler dans la presse nationale. Les concerts de tournées mondiales qui ne passent qu’à Paris si on veut les voir en France…
Corollaire et défaut inhérent de l’hyper-centralisation de ce pays, Paris concentre tout ce que l’on peut espérer de nouveautés et d’offre culturelle, culinaire ou de loisirs. C’est une joie d’y vivre sa vingtaine, si on en a les moyens. Les parisiens sont perçus comme des connards arrogants parce qu’ils vivent une expérience urbaine particulière à leur ville, sans équivalent ailleurs. J’ai mis du temps, pour ma part, à être séduit par tout ça. En 2008 j’arrivais de Bordeaux, une ville étudiante dynamique aux dimensions plus raisonnables, et à Paris tout me semblait « trop ». Trop cher, trop bruyant, trop compliqué, trop loin, trop arrogant. Force est de constater qu’au moment de la quitter, la ville m’a semblé être le milieu le plus adapté à la personne que j’étais devenu. Décider de partir n’a pas été simple.
C’est un cheminement bien classique qui s’est fait, finalement, pour me faire quitter Paris. Un cliché. Le parisien qui se réveille après le premier confinement et prend conscience de l’absurdité de son naturel casanier dans une ville pareille, où son espace domestique est apparu de manière plus criante que jamais pour ce qu’il était : onéreux et étriqué.
Lyon était un projet, mais pas une destination précise. Cela aurait pu être Bordeaux, ou Nantes, ou Marseille. Ce fut Lyon. Nous y serons bien, je pense. Et ce sera une page de vie aussi belle que celle de Paris. Une page (celle de la vingtaine, des verres en terrasse en sortant du travail, des potes disponibles parce qu’ils n’avaient pas encore deux enfants chacun sur les bras, des amis qui n’étaient pas encore partis vivre ailleurs) qui s’est tournée en 2020 et qui, ai-je compris, ne reviendra pas. Alors autant profiter de ce que la suivante a de bon à offrir.