Plus que quelques jours avant le déménagement, je deviens fébrile, je fais des insomnies en pensant au contenu de mes placards, à ce que je dois encore mettre dans des cartons, et dans quel ordre, qu’est-ce que j’aurais dû prendre la peine de trier et de jeter, où est-ce que je vais bien pouvoir mettre tout ça dans le futur appartement. Je déteste les déménagements. Pas tant pour ces périodes de bordel où l’on vit à moitié dans les cartons que pour l’appréhension du jour J, quand on est dans le dur, qu’on se flingue le dos et qu’on ne voit pas le bout de ces dizaines de sacs et de cartons qui contiennent des merdes auxquelles on a à peine touché depuis le précédent déménagement.
Pourquoi est-ce que j’ai encore ces livres à la con depuis mes études, ou bien cette vaisselle dont je ne me sers jamais mais que je n’ai pas le cœur à jeter parce qu’elle est en bon état et que c’était un cadeau ? Depuis que je suis parti de chez mes parents en 2003, ce sera mon dixième appartement, mon dixième déménagement. Certains de ces trucs m’auront suivi dans les dix appartements, sans que je réussisse à me décider à les jeter, à les laisser derrière moi. Cela me semble fou. J’ai évidemment semé des trucs lors de certains déménagements, ramené des objets encombrants ou parfaitement inutiles chez mes parents pour qu’ils prennent la poussière dans ma chambre d’ado plutôt que chez moi, laissé des appareils électroménagers ou de la vaisselle à un ex, jeté quelques trucs pétés. Ce qui m’a aidé, c’est que de colocations en studios en vie en couple en retours à la vie tout seul, mon parcours immobilier a été assez escarpé pour que mes appartements ne grossissent pas de manière linéaire avec le temps. L’obligation de se débarrasser de certaines choses quand on part dans un appartement tout bêtement deux fois plus petits, ça m’a aidé à faire un peu de tri. Mais cela a toujours été du tri contraint, à marche forcée. Mon impulsion naturelle semble être à la conservation, si ce n’est à l’accumulation.
Il y a dans mon entrée actuelle, encore pour quelques jours, ce que nous nommons un « placard magique », rempli de merdes dont nous ne nous débarrassons pas mais qui ne servent pas à grand-chose : des jeux, de la papeterie, des bouteilles de vin pas entamées, des dossiers avec des vieilles factures, des modes d’emploi, des vieux chargeurs, de la vieille connectique d’appareils que nous ne possédons plus mais on se dit qu’on sait jamais, du papier cadeau, des balles antistress, des outils, du scotch, une dizaine de paires de chaussures qu’on ne met jamais, des anciennes décorations… il y a même un vieux Nokia 3310. Honnêtement, on pourrait mettre 90% du contenu de ce placard à la benne au lieu de le transvaser dans un futur autre placard. En-dehors de quelques factures et papiers importants, rien ne me manquerait, je crois.
Ce placard, c’est celui qui nourrit le mieux mes insomnies des derniers jours avant le déménagement. Il incarne ces défauts que j’entretiens comme autant de preuves de ma liberté mais qui me maintiennent dans une placide détestation de moi-même : ma paresse, ma procrastination, ma flemme de tout. C’est évidemment celui que je viderai en dernier, quand je n’aurai plus le temps de trier et qu’il faudra se résoudre à tout vider salement en un quart d’heure dans cinq cartons, qui eux-mêmes seront les cinq derniers à prendre la poussière dans le prochain appartement.
Ce qui me fait en revanche très plaisir, dans ce déménagement, c’est que c’est probablement le « dernier ». Pas pour de bon, bien sûr, je n’ai que 37 ans, il me reste probablement au moins la case EHPAD à cocher avant la dernière demeure. Mais comme il s’agit de mon premier achat immobilier, je sais qu’il n’y aura pas d’autre déménagement avant longtemps. Ça, ça me remplit de joie.
Je ne sais pas encore ce que ça fait d’être dans un appartement et de ne pas en être locataire. Je le saurai dans quelques jours. Mais j’imagine que le caractère plus « définitif » du logement donne de nouvelles perspectives. Sur le temps long. Les choses qu’on va ranger et qui seront au même endroit dans quinze ans, la déco qu’on va choisir sans craindre de se faire engueuler par le proprio ou par l’agence parce qu’on a peint ou planté un clou, les meubles et objets qu’on va désormais choisir avec un cadre précis et fixe en tête.
Je crois que c’est ça, davantage que le capital immobilier ou l’argent investi plutôt que dilapidé en loyers, qui m’a réellement convaincu d’acheter, qui m’a attiré vers ce type de projet que je freinais depuis des années à Bordeaux et à Paris : la stabilité, la permanence, l’endroit qu’on appelle chez soi et qui va rester le même, dans lequel on va pouvoir se projeter longtemps et prendre des décisions engageantes d’aménagements, sans se réfréner en se disant que de toute façon, dans un an on ne sera plus là. Peut-être que j’ai toujours voulu être un vieux qui cherche l’inspiration pour son futur banc de balcon dans Marie-Claire Maison, au fond.
Ditom
août 29, 2022 at 3:53Beau projet! On a tous un placard magique je crois. C’est ce qui nous sépare de la perfection
Vinsh
août 30, 2022 at 2:44Il semble sans fond, le placard magique ! :p
» La peur de jeter
septembre 8, 2022 at 5:49[…] peur du placard magique, maintenant je m’immobilise d’hésitation devant les placards « définitifs », auxquels […]
estèf
septembre 9, 2022 at 4:51Haha, j’ai deux Nokia 3310 et aussi mon premier IPhone, le 3, que j’adore encore prendre en main, même s’il ne marche plus, et plein de trucs ridicules dont je n’ose même pas parler. Quand mes héritiers ouvriront les cartons, ils vont halluciner !