Le frémissement

 

 

Elle me fascine, cette photo de Mahsa Amini. Elle était née en 2000. Morte pour un voile mal mis. Comment a-t-elle pu mourir après avoir été passée à tabac dans une fourgonnette de police et « interrogée » pour une mèche de cheveux dépassant d’un voile ? C’est impossible à accepter, comme ça, là, sans explication, sans coupable, sans un mot de l’autorité concernée pour dire que ce n’est pas normal. Peu importe le système pourri de défense de la police des mœurs de Téhéran en face des manifestations qui secouent le pays depuis une semaine. Comment a-t-on pu trouver cette jeune femme indécente ? L’existence-même d’une police des mœurs décrétant, à la gueule de la cliente, ce que tu as le droit de porter, n’est-elle pas déjà le problème ? Comment peut-on accepter que qui que ce soit entre dans un commissariat de police et en ressorte dans le coma, quel que soit ce qu’il ou elle a, ou non, à se reprocher ? Comment peut-on oser déclarer sans trembler que sa mort n’est pas liée à son arrestation ? De quoi cette histoire est-elle, encore une fois, un symptôme déprimant ?

 

La vérité c’est que les gros blaireaux du patriarcat ont juste peur de la féminité, de la jeunesse, de la beauté et de la liberté. Ils ont peur des manifestations dont les leaders sont des femmes et dont les suiveurs sont des hommes. Ils ont peur de demain. Mais ils ont la police et les armes, et le temps avec eux. Ils vont réprimer en frappant et en tirant dans la foule, ils vont empêcher les images de circuler (Whatsapp et Instagram, les applications de messagerie les plus populaires en Iran, sont bloqués dans les grandes largeurs sur le sol iranien depuis plusieurs jours). Et comme tous les mouvements sociaux, tous les frémissements de révolution depuis des décennies, ils vont s’appuyer sur le temps et notre lassitude prévisible : sans nouvelles images circulant en ligne, sans avancées significatives pendant quelques semaines, on finira par se désintéresser des Iraniennes et les laisser à leur sort, coincées si loin, à tous ces kilomètres de nous, comme on a fini par s’habituer à la guerre en Ukraine, aux reculs démocratiques en Égypte et au Maghreb, aux expropriations de palestiniens, aux migrants des jungles de Calais, aux lycéennes de Chibok kidnappées par Boko Haram, ou aux ouïghours réduits à l’esclavage loin de nos regards pour nous fabriquer des T-shirts.

 

Comme toujours, on va détourner les yeux et croiser les doigts pour qu’ils s’en sortent sans nous, sans ingérence extérieure, et on va sincèrement espérer que le mouvement aura un impact sur le régime politique iranien. Comme toujours, des mecs de droite vont en profiter pour faire des comparaisons douteuses avec les musulmanes françaises qui voudraient pouvoir se voiler sans devenir des ennemies publiques alors que les musulmanes iraniennes se battent pour ne plus avoir à le porter. Faisant mine de ne pas comprendre la nuance et ne cherchant pas à écouter les premières concernées. La nuance est dans le mot liberté, comme bien souvent : liberté de se voiler ou pas, et qu’on te foute la paix dans les deux cas. Si les Iraniennes gagnent, elles ne cesseront pas d’un claquement de doigts d’être musulmanes, croyantes, pratiquantes, pour beaucoup d’entre elles. Elles ne cesseront pas du jour au lendemain de porter le voile comme le leur demande leur religion. Mais peut-être ne le feront-elles plus que pour les rites religieux, ou pour les fêtes, ou quand ça leur chante. La beauté de la chose étant qu’elles auront le choix. Comme Mahsa Amini aurait dû l’avoir. Comme toutes les Iraniennes et toutes les femmes devraient l’avoir. Tout le reste n’est qu’injonction patriarcale.

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