Ce week-end nous sommes passés donner un coup de main pour un déménagement. Enfin, pour ma part, j’ai seulement fait le passe-plat entre l’appartement et l’ascenseur pour les trucs les plus légers, car en vrai je n’ai ni les épaules ni les bras ni le dos pour déplacer un canapé ou un lave-linge. C’était un déménagement post-rupture. Ça m’a un peu rappelé le mien, il y a quelques années, quand j’ai quitté mon deux pièces, en couple, du vingtième arrondissement, pour m’installer seul, à presque trente ans, dans un clapier de seize mètres carrés un peu plus loin. J’avais géré une grande partie de ma séparation sous les radars, et mis mon entourage devant le fait accompli une fois que c’était fait, ce qui avait donné à la rupture un aspect assez spectaculaire et soudain ; du coup lorsque, quelques semaines plus tard, les copines et copains sont venus donner un coup de main pour mon déménagement, ils ne savaient pas trop sur quel pied danser, ils étaient un peu désolés pour moi et en même temps ça avait l’air d’aller, mon ex était là et aidait pour le déménagement, l’ambiance était globalement bonne et l’équipe efficace… mais il y avait un truc un peu triste dans l’air.
J’ai des réflexes assez conservateurs, je suis resté un gosse idéaliste par bien des aspects. Un peu de droite malgré moi, quoi. Je veux que les choses restent comme elles sont, je ne veux pas que mes parents divorcent et devoir gérer et apprendre à accepter une nouvelle situation personnelle chez mes proches. Alors que bon, rationnellement, je suis pour, hein, je suis d’accord pour que les gens se séparent quand ça ne marche plus et qu’ils aient une nouvelle chance d’être heureux. Mais je me suis surpris à avoir ces arrière-pensées puériles ce week-end. Mon pote est séparé depuis six mois maintenant. Il a avancé dans sa vie, son ex aussi. Le déménagement était relativement tardif en raison de la mise en vente de leur appartement avant de le quitter, mais malgré ce timing « confortable », tout ce temps après, ça m’a fait un petit pincement au cœur de voir l’appartement vide. Cet appartement où je les ai toujours connus ensemble. Ce couple que je n’ai connu qu’ensemble, et qui à présent part sur deux chemins séparés.
Alors que ça ne me regarde pas, déjà. De quoi je me mêle. Et puis les deux sont allés de l’avant et vont bien mieux aujourd’hui, apparemment, qu’il y a encore six mois ou un an. Je le vois bien. Donc, rationnellement, et principalement, je suis heureux pour eux. Cette séparation était une bonne chose, la chose à faire. Mais il y a toujours ce petit sentiment, certes minoritaire, de tristesse de voir une histoire se terminer.
La plupart de mes amis sont des gens que je connais depuis plus de vingt ans maintenant. Je les ai connus célibataires, puis en couple pour certains, puis séparés, puis à nouveau en couple, mais depuis une grosse dizaine d’années, surtout chez les hétéros, ça s’est bien stabilisé, avec Pacs, mariages, départs de Paris, achats d’apparts et enfants à la clé. Pas tous, mais dans les grandes largeurs, mes amis suivent des chemins hétéronormatifs très balisés. Je ne les juge pas, je prends à peu près le même chemin. Mais à chaque fois qu’il y a eu un changement de situation matrimoniale, et même si je l’accepte à chaque fois spontanément et avec joie ou soulagement pour mon ou ma pote, il y a ce micro-pincement au cœur de renoncer à la situation précédente, d’accepter que ça change. Rien de dominant, juste une petite note de retenue. Que ce soit un nouveau mec ou un nouveau célibat : il y a cette arrière-pensée, vite réfrénée, d’affect pour la situation qui s’achève, cette envie que les choses ne changent pas, cette peur que ce ne soit plus pareil maintenant. Cette impression de ne pas avoir assez profité de ce qu’on avait, maintenant que ce n’est plus là. Même si, concrètement, on « n’avait » pas ce couple ou ce pote célibataire : leur vie a toujours été la leur et pas la mienne.
Le couple des autres ne me regarde pas. Mais quand ce sont mes amis, derrière la placide et spontanée acceptation, j’ai cet instinct bizarre de conservation, c’est comme ça. J’aime bien que les repères ne bougent pas trop. Moi-même, je ne bouge pas trop. Je suis resté vivre cinq ans à Bordeaux, puis quinze ans à Paris, et je n’ai eu que des relations « longues ». Je n’ai pas papillonné, ni sentimentalement, ni amicalement, ni professionnellement. Je me suis investi avec sérieux dans mes amitiés, dans mes boulots, dans ma vie au présent, et mon parcours de vie porte globalement la trace d’une certaine linéarité : pas de virages professionnels curieux, quelques amis supplémentaires avec les années mais ceux du début sont encore là aussi. Quitter Paris pour Lyon a été mon move le plus radical de ces dix dernières années, c’est dire si je ne suis pas un audacieux.
Je ne suis pas celui qui va te dire, après une rupture, que je n’aimais pas ton mec, que vous n’alliez pas ensemble ou que tu n’avais pas l’air heureux donc bon débarras. Je vais plutôt essayer de soutenir et d’accompagner l’humeur qui me fait face. Si la personne est soulagée, je vais abonder en son sens, si elle est triste, je vais davantage me concentrer sur les amis, l’entourage, tout ce qui va l’aider à passer le cap. Mais je ne vais jamais avoir pour premier réflexe de dire « c’est mieux ainsi », de dénigrer l’ex, ou globalement d’enterrer la relation. Je garde un peu espoir qu’ils se remettent ensemble, si la rupture a moins d’un mois, je me dis que c’est possible qu’ils changent d’avis, surtout si la relation était longue.
Je suis attaché aux couples de mes amis, presque autant que je suis attaché à mes amis eux-mêmes : leurs mecs, leurs « pièces rapportées », sont devenus des amis, plus ou moins proches, et surtout des repères. Pour ceux qui ont des enfants, je ne leur souhaite pas de se séparer, bien sûr, mais à peu près autant que ceux qui n’en ont pas. J’ai envie qu’ils soient heureux, mais j’ai aussi un peu, par réflexe, envie qu’ils soient heureux ensemble. Quand j’en vois certains traverser des périodes de moins bien, je m’inquiète un peu même si j’ai confiance en leur solidité, je sais que ça me rendrait triste qu’ils se séparent, même si c’est pour un mieux, même si ce doit être un soulagement pour eux après des mois à essayer d’y arriver, mais à échouer désormais à être heureux ensemble.
Matoo
mars 7, 2023 at 6:49Arf, moi aussi je n’ai jamais réussi à rester longtemps célibataire, j’aime trop être en couple, et être amoureux cul-cul la praline. 😀
Vinsh
mars 7, 2023 at 7:04Alors c’est presque un autre sujet, mais moi non plus je ne suis jamais resté célibataire très longtemps depuis le lycée. Parfois je me demande si c’est par peur d’être seul. Mais je ne crois pas, car je ne me suis pas senti en détresse émotionnelle les rares fois où j’ai été célibataire. Mais le fait est que je tombe amoureux ou que j’ai un crush à peu près trois fois par an, donc bon…