J’avais peur du placard magique, maintenant je m’immobilise d’hésitation devant les placards « définitifs », auxquels attribuer un rôle, une destination, dans le nouvel appartement. Je commence à faire des boîtes thématiques, histoire de dégrossir le bordel que je redécouvre au fond des cartons. Bon sang, mais c’est le chargeur de quoi, encore, ce truc ? J’ai envie d’acheter une étiqueteuse pour ranger plein de boîtes en plastique dans les armoires, les commodes et les étagères, en les regroupant par sujets proches. Une boîte « ampoules », une boîte « vieux chargeurs et fils connectiques d’appareils électriques qui traînent peut-être quelque part », une boîte « clous et vis », une boîte « faire-parts et souvenirs des mariages des gens que je vais quand même pas jeter »… Comme une envie de retrouver la maîtrise de mon environnement domestique et de savoir où tout est, tout le temps, parce que c’est stressant de chercher un même objet trois fois par jour parce qu’il est tantôt dans un carton, tantôt dans un premier placard, puis finalement dans un autre parce qu’on s’est dits qu’il serait mieux là, et attends là je le retrouve plus je m’en suis servi y’a dix minutes. Alors un besoin bizarre de tout mettre dans des cases, comme pour tout maîtriser à nouveau. Cette fièvre rangeuse et étiqueteuse me fait un peu peur, je me demande combien de temps elle tiendra. Et puis il y a quand même pas mal de trucs dont je me demande s’il ne faudrait pas tout simplement les jeter ; ça ne me ressemble pas.
Globalement, je trouve que déménager est une épreuve extrêmement pénible et désagréable. Déjà pour les cartons et meubles à trimballer le jour J, bien sûr. Si ce n’est que cette fois-ci, comme on déménageait « pour de bon », on a payé des déménageurs (spoiler alert : ça vaut trop le coup, vu le camion de 20 mètres cube et le camion de 15 mètres cube où nos affaires ont été entassées façon Tetris). Mais aussi pour le stress en amont du jour J, les papiers à préparer, les chéquiers et dossiers à ne surtout pas égarer quelque part dans un des quarante cartons, les démarches auprès de la banque, de la Poste, les changements de coordonnées à indiquer, les craintes de casser ou perdre un truc.
Le jour J n’est pas follichon non plus, ça fait toujours bizarre de voir des gens vider ton appart, puis de le regarder complètement vide en fin de journée. Et puis l’après, dans le nouvel appartement, est généralement un peu étrange aussi.
Depuis notre arrivée, et comme dans tous les précédents appartements où j’ai débarqué avec mes cartons, les premiers jours sont très bordéliques. Il y a des cartons partout, des affaires qu’on redécouvre au fond d’un sac ou d’une boîte et auxquelles on ne trouve pas vraiment de destination. Et malgré l’évidence de cette accumulation inutile et ridicule, les scrupules à jeter des trucs. Scrupules qu’on a déjà eus quelques jours avant, quand il aurait été plus logique de jeter ces objets au lieu de les trimballer dans le déménagement. Mais scrupules qui reviennent malgré tout, maintenant qu’on doit trouver une nouvelle étagère ou un nouveau placard pour ces objets. J’avais parlé du « placard magique » où on met toutes les merdouilles qu’on ne sait pas trop où ranger ailleurs, mais en fait dans tous mes placards je m’aperçois maintenant que je remets des objets inutiles.
Je ne sais pas s’il y a une explication psychologique ou sociale à ce truc. Je ne pense pas que dans mon cas on puisse parler de syllogomanie ou de syndrome de Diogène (je n’en suis pas là, mon hygiène corporelle est encore correcte et je ne collectionne pas non plus les emballages de chips), mais je suppose qu’il y a un truc qui fait qu’on est plus ou moins sensible à ce petit pincement au cœur quand on voit cet objet, encore en bon état mais parfaitement inutile, qu’on n’arrive alors pas à envisager de jeter.
C’est cette petite peluche qui avait dû être offerte il y a des années avec un paquet de céréales ou un plein d’essence (vous vous souvenez, dans les années 90, quand je ne sais plus quelle marque de station essence offrait des peluches qui s’accrochaient aux ceintures de sécurité contre un plein ?) (ou peut-être était-ce plusieurs pleins, dans une logique de carte de fidélité et de cumul de points, je ne me souviens plus).
Ce sont ces pulls ou sweatshirts que je ne porte plus parce que je mets toujours les trois mêmes, qui sont aussi les trois plus récemment achetés, alors pourquoi je garde ce pull qui gratte que j’ai dû porter trois fois en 2013 avant de m’en lasser ?
C’est ce photophore merdique que j’ai en huit exemplaires, dans lequel je n’ai plus mis de bougie chauffe-plat depuis 2007 mais qui continue à me suivre dans chaque déménagement.
Ce sont ces mugs à café qui prennent la poussière au fond du placard de la cuisine parce que j’utilise toujours les cinq mêmes, mais que je ne jette pas parce que c’étaient des cadeaux ou juste parce qu’ils me rappellent des souvenirs. La peur de jeter et la peur de vexer dans un même mouvement culpabilisateur sans pilier rationnel.
C’est cette paire de chaussures que je n’ai pas portée depuis 2011 mais que je continue à stocker dans un placard avec les chaussures de ville que je mets une fois par an, parce que quand même elles sont en bon état et si ça se trouve un jour j’aurai à nouveau envie de porter des Converse achetées en 2006, on sait pas.
C’est ce réveil matin à piles, qui n’a plus de piles depuis des années, et de toute façon j’ai un radio-réveil.
C’est cette clé allen d’Ikea que j’ai en vingt exemplaires parce qu’elle est fournie avec la plupart des meubles à monter qui comportent des vis, et que je garde toujours dans une nouvelle boîte au cas où.
C’est ce CD jamais déballé parce j’avais dû le remporter dans un jeu-concours à la con, que je n’écouterai jamais mais bon c’est un CD neuf sous blister, je vais quand même pas le jeter. Même si je n’écoute même plus de CDs.
C’est cette lampe qui avait dû être jolie il y a vingt ans, que j’avais piquée chez mes parents mais dont le pied est ébréché et qui n’a jamais été branchée dans les deux derniers appartements que j’ai occupés.
Ce sont ces quatre livres, là, quatre volumes d’histoire du XIXème et du XXème siècle auxquels je n’ai pas touché depuis mes études à part pour les déménager.
Ce sont ces briquets qui traînent chacun dans un carton différent et qui me servent peut-être une fois l’an pour allumer des bougies d’anniversaire.
C’est cette boule à neige de Berlin que quelqu’un m’a offert un jour mais je suis incapable de me souvenir qui.
…
En vieillissant, pourrais-je me dire, il est normal de cumuler des choses et de voir peu à peu son lieu de vie se transformer en musée aux souvenirs et aux petits objets merdiques qu’on n’a pas eu le cœur de jeter. Mais je crois que ça fait longtemps que je trimballe certains objets pour rien, comme ça, alors qu’ils pèsent un âne mort. Je ne sais pas si je vais avoir le courage, maintenant que je suis dans un appartement « définitif » où je vais pouvoir me projeter longtemps et ranger des choses à une place bien stabilisée, de faire du tri, de me défaire de ce sentimentalisme bizarre qui touche certains objets inutiles… et d’en jeter un peu.
Matoo
septembre 12, 2022 at 2:44J’ai quelques endroits et mallettes qui sont dédiés à ce bordel mnémonique, et ça restera comme ça. De temps en temps, je fais le tri et je jette quelques trucs, mais pour les plus anciens artefacts je suis dans la substantifique moelle et il n’y a rien à jeter. Même pas ce caillou que ma copine Marie-Aude avait ramassé pour moi en CP sur la plage de Dieppe lors d’une sortie scolaire. :DDD
Vinsh
septembre 15, 2022 at 2:42Les souvenirs d’enfance, associés à un souvenir précis, franchement ça va. C’est pas 12 clés allen Ikea qui traînent dans une boîte à outils ! :p